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pprenant qu’elle est enceinte de Jirô, Kyôko décide d’avorter, sans le consulter, s’imaginant ainsi débarrasser son partenaire d'une présence encombrante. Mais le bébé disparu vient bientôt hanter les pensées de la jeune femme, déjà perturbée par sa situation non-maritale et le silence réprobateur de sa mère face à cette façon de vivre. Peu à peu, elle glisse dans la dépression, jusqu’au jour fatidique où elle tente de se suicider. Forcé d’appeler la famille de sa compagne, Jirô voit le beau-père de celle-ci prendre les choses en main, lui ordonner de se tenir à distance et placer Kyôko dans une institution. Demeuré seul et malgré les moqueries de ses amis, Jirô ne cesse de penser à sa dulcinée et lui envoie de nombreux courriers qui restent sans réponse. Kyôko, elle, apprend petit à petit à se reconstruire, à accepter sa condition et la perte de son fœtus…
Présenté comme un chef d’œuvre de Kazuo Kamimura (Lady Snowblood et Le fleuve Shinano au dessin), Lorsque nous vivions ensemble narre, en trois impressionnants volumes, les amours tumultueuses de deux jeunes Japonais non-mariés dans les années soixante-dix. L’absence de reconnaissance officielle de leur couple, les aléas du quotidien, la passion exaltée qui les unit doublée d’une forte incompréhension mutuelle, les conduisent au fil des mois au bord d’un gouffre qui s’ouvre sous leur pas avec l’avortement de Kyôko. Les conséquences de cet acte grave et, dans son cas, dicté par une dépression qui la rend aussi amère qu’instable, sont développées dans ce deuxième volume, marqué par la souffrance, la culpabilité, le chagrin et la névrose. Très noir, ce volet plonge le lecteur dans les méandres de ressentis empreints de tristesse et d’ombre, conduisant les amants à des introspections difficiles, douloureuses, qui les forcent à s’interroger sur leurs faits et gestes, leurs manquements, leur passé. L’histoire familiale de l’héroïne est expliquée et permet de mieux comprendre son comportement, ses peurs ou ses attentes, tandis que Jirô doit faire face au jugement accusateurs des autres – le propriétaire de l’appartement qu’il loue, les amis, les médecins, le beau-père de sa compagne. Les longues et pénibles scènes dans l’établissement pour aliénés mentaux ajoutent encore à cette obscurité qui transperce les pages et que parvient à peine à atténuer le ton nostalgique, poétique et doux du récit. Le dessin, tout en simplicité et en élégance, dégage une puissance certaine, transcrivant les émotions – ou leur absence apparente -, plantant les personnages et les faisant évoluer au gré du pinceau tels des pantins écrasés par le poids de leur destin, jouant sur des décors rappelant des estampes. Les paysages, reposants et immobiles, contrastent fortement avec les cauchemars du couple et leurs fuites, ce qui renforce encore l’effet macabre du récit.
Étouffant de noirceur et d’affliction, ce deuxième tome a un goût prononcé d’amertume qui pourrait en rebuter plus d’un. Pourtant, son propos émouvant et percutant, son duo amoureux touchant, ainsi que son graphisme soigné valent la peine de s’y arrêter longuement et, à petites doses, d’en apprécier toute la beauté.
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