E t si le premier tome de l’Ancien Temps s’analysait comme un négatif du Petit Prince ? Dans ce dernier album, Joann Sfar devait composer avec les rigueurs de l’adaptation quitte à s’imposer un gaufrier bien encombrant. Autant de contraintes qui juraient avec ce à quoi l’auteur, en habitué de l'école buissonnière, nous avait accoutumés. Il n’avait d'ailleurs jamais paru particulièrement goûter les jeux de l’Oubapo chers à certains de ses compagnons d’échappée. En contant l'histoire de Nadège et Cassian, Joann Sfar renoue ici avec plus de liberté et quelques unes de ses préoccupations habituelles. Dans cette fresque pleine de fantaisie héroïque sensuelle et enluminée, l’auteur laisse libre cours à ses fantasmes, à ses obsessions. S’il y est bien sûr question d’aventure et de rite de passage, on retrouve aussi ce formidable sens de la narration, une appétence pour le dialogue et la rhétorique relevés d’un soupçon de maïeutique grivoise et d’une pincée de tropisme niçois. Au fil de quelques très belles planches, rehaussées par les couleurs de Brigitte Findakly, se déploie un imaginaire fertile où la vie déborde de toute part, où le bestiaire semble familier. Comme souvent, les animaux se font volontiers philosophes, les femmes entreprenantes, les vieux libidineux et les jeunes hommes empotés. Mais si l'œuvre est attachante, le résultat semble pourtant manquer d’originalité. Ainsi, si Joann Sfar paraît toujours aussi inspiré, il donne parfois l’impression de se paraphraser, comme s'il n'en finissait pas de recomposer le même album autour d'un univers fantasmagorique toujours semblable et de thématiques maintes fois éprouvées. L’Ancien Temps, c’est du Sfar à son meilleur… à condition de ne pas trop en avoir lu.
Par D. Lemétayer
J'ai beaucoup aimé les couleurs et le trait assez "lâche" de Sfar, ainsi que certaines immenses cases qui parcourent l'album. L'univers créé est archi-classique de l'Héroïc Fantasy, mais le ton paisible et les thèmes abordés (religion, croyances, tolérance, amour, fidélité, courage ...) font passer un agréable moment de lecture.
La spontanéité du trait, la mise en page, le foisonnement d'idées, la plongée dans le merveilleux pour servir un fond critique sur la religion et toute forme d'intolérance... La lecture de ce premier volume m'a enchanté.
Sfar se révèle encore un peu plus comme un héritier de Fred par son univers loufoque, jamais très éloigné de notre univers réel, comme pour laisser penser que notre réalité n'est qu'une folie comme une autre (Philémon ou La petite sorcière). Et par son humour noir. Mais, comme Fred signait bien son époque (idéaux pacifistes, luttes ouvrières), Sfar est inscrit dans notre actualité où l'individualisme et la religion sont les justificatifs de toutes les actions de nos contemporains.
Oui, l'histoire est assez "simple", mais son traitement est savoureux. Peut-être faut-il simplement se déconnecter du contexte de sa réalisation pour se laisser porter par sa poésie.
On a entendu dire que Sfar avait pondu cet "Ancien Temps" (avec le temps, on verra s'il s'agit vraiment du début d'une nouvelle série… mais il est vrai que le récit reste suspendu à la fin) tout en dirigeant son premier film. Ceci explique sans doute la lâcheté de l'intrigue (même si Sfar n'est jamais le roi de la cohérence narrative, et que c'est aussi pour ça qu'on l'aime...), et, un peu plus gênant, le laisser aller des dessins, qui plus d'une fois, trahissent leur aspect improvisé. Les limites de cet ouvrage ainsi posées, il faut admettre qu'on y retrouve le meilleur de Sfar, une fois de plus : cet imaginaire amusant et richissime, cette sensualité légère des femmes libres et charmantes, cet humour décalé, absurde, qui n'est jamais loin de la cruauté, mais se retient juste à temps, et surtout ces préoccupations "théologiques" encore une fois passionnantes. En partant en guerre contre le "Dieu unique" - et paradoxalement, pas contre la Religion -. Sfar vise haut, et irritera plus d'un ayatollah ou fondamentaliste chrétien (sauf que ces abrutis ne lisent pas les livres de Sfar, malheureusement !). On attend avec impatience un second tome, peut-être traité moins comme un "passe-temps" ?