C
’est dans un cadre idyllique et luxueux, dédié à une population aisée et propice à l’insouciance, que mademoiselle Else et quelques proches passent des vacances. Durant son séjour, la jeune femme reçoit un courrier de sa mère l’informant de la situation financière dramatique de son père. S'il n'est pas nouveau, ce problème, qui la concernait de façon indirecte, prend alors une toute autre dimension : la lettre lui intime d’aller quémander l’argent nécessaire à un vieil ami de sa famille, en villégiature dans l’hôtel où elle réside actuellement.
Cette adaptation de la nouvelle écrite par Arthur Schnizler, à la trame relativement classique, trouve son charme et ses qualités dans le style et le ton distillés par Manuele Fior. La haute bourgeoisie, dans sa version austère et désuète, y est dépeinte avec sobriété, notamment le fait d’une ambiance feutrée rendue par la douceur du trait, sensation accentuée par l’utilisation de couleurs ternes. Les dialogues, sur un mode précieux où chaque mot est pesé et les sous-entendus nombreux, achèvent de confirmer cette impression d’un milieu qui a ses codes et ses règles. Ceux-là mêmes qui pèsent tant sur les frêles épaules de cette jeune femme en marge bien malgré elle ; seule, terriblement seule dans le dilemme cornélien qui lui est imposé. Dans cet univers plombé par le souci des convenances, où l’apparence est primordiale, elle dissimule tant bien que mal sa fragilité derrière une attitude cassante. La missive de sa mère, et ce qu’elle implique, va provoquer une fêlure.
Dans ce récit tout en psychologie, l’instabilité de mademoiselle Else est perceptible dès les premières pages. Son état d’esprit, constamment sur la défensive, est transcrit par une voix-off omniprésente. Se sentant sans cesse observée et interprétant toute chose avec forte paranoïa, elle s’enferme dans sa confusion mentale et s’offre ainsi au regard des autres – la boucle est bouclée. Dès lors, devoir aller demander une forte somme d’argent à cet homme d’un certain âge… la jeune femme se perd dans la réalité de son cauchemar : un animal blessé au milieu des loups.
Mademoiselle Else est un album qui se concentre avec justesse sur les mécanismes de la pensée de son personnage principal ; l’histoire d’une lente dérive.
Ce titre est passé totalement inaperçu lors de sa sortie. Il faut dire qu'avec toutes les productions, celles qui ne font pas de publicité à grand renfort de campagne marketing sont plutôt vite oubliées. Dans ce cas, il ne reste plus que la solution du bouche à oreille.
Je sais que la collection Mirages chez Delcourt propose des romans graphiques intimistes assez intéressants en règle générale. Celui-ci échappera-t-il à la règle ?
On pourra tout d'abord être frappé par le graphisme. Il fait un peu vieille France mais il colle parfaitement à l'ambiance fin de siècle dernier voulu par l'auteur dans le milieu de la bourgeoisie en villégiature. C'est d'ailleurs tiré d'un roman d'Arthur Schnitzler écrit en 1924. On aura droit à différents codes visuels assez bluffants comme des contre-plongées.
Je regrette simplement de voir une jeune femme de 19 ans qu'on croirait beaucoup plus vieille sur certaines cases. Il y a comme une déformation peut-être voulue du dessin. C'est très souvent flou comme pour imaginer la beauté. En tout cas, c'est une belle expérience graphique avec un talent de l'auteur indéniable. Encore un jeune auteur italien me direz-vous !
Pour le reste, il s'agit d'un drame plutôt classique. Je m'attendais sans doute à quelque chose de différent et de plus percutant. Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire pour sauver un père de la ruine ! La Belle Epoque avait ses règles assez strictes. On revit véritablement une certaine ambiance au milieu de ce microcosme malgré un statisme apparent du récit.
Bref, c'est difficile de se faire une idée précise tant c'est différent de toutes les productions actuelles. Cela ne sera pas une lecture facile d'accès au grand public, c'est certain. Il faut aimer la lenteur et la mélancolie qui trouvent un certain charme dans ce récit.