A
près une première collaboration pour Le Maître de peinture, Frédéric Richaud s’associe une nouvelle fois avec Makyo pour l'adaptation de son roman Jean-Jacques. Jean et Jacques Chapelet, deux hurluberlus, synthèse improbable entre Monsieur Jourdain, Don Quichotte et le Savant Cosinus, vouent un culte sans limite à Jean-Jacques Rousseau. A force de lire et relire, sans trop les comprendre, les œuvres du grand philosophe, ils imaginent et tentent maladroitement de convertir leur vie, leur propriété et le monde aux sains principes de l’auteur du Contrat Social. Ils finiront même par profaner la tombe du philosophe afin de lui offrir un tombeau en accord avec son discours.
Le récit se veut picaresque et outrancier. Malheureusement, Makyo n’arrive pas à retranscrire complètement le côté extravagant du duo. Conséquence : un sourire lâché parfois à la découverte de certaines péripéties des héros, oui, mais de rire franc, jamais. Jean et Jacques sont traités sans ménagement d’une façon un peu dure qui ne leur laisse aucune chance de séduire. Une intrigue secondaire, voulant sans doute illustrer les principes rousseauistes sur le libre arbitre, met en scène le docteur Guillaume, le narrateur de l’histoire, et Sœur Marie-Rose. Cette idylle, courte et très peu développée, n’est guère passionnante et finit par être source d'agacement plutôt que d'enrichissement de l’histoire centrale.
Aux pinceaux, Bruno Rocco a opté pour une approche très classique qui rappelle, par moment, le travail de Jean Giraud. Rocco privilégie les personnages, un peu au détriment des décors, pour illustrer ce scénario. Le trait est réaliste, avec néanmoins un penchant à la caricature bien appuyé. Avec l’âge, les visages des deux héros s’alourdissent, donnant l’impression qu’ils ont plus étudié la dive bouteille que les textes savants. Le lecteur, sobre, lui, se surprendra à plusieurs reprises à les voir « flotter » au dessus d’un plancher des vaches mal défini. Ce défaut provient peut-être de la mise en couleur très travaillée de Claudia Chec. L’utilisation de textures informatiques est une astuce bien pratique pour « remplir » de grandes surfaces comme le ciel et les murs. Néanmoins, son utilisation systématique donne ici un côté un peu artificiel qui surprend pour un récit se déroulant au XVIIIe siècle.
Il manque peut-être à Jean-Jacques un peu du panache et de la douce folie qu'avait réussi à insufler Didier Tronchet dans Le peuple des endormis , album également adapté d'un roman de Richaud.
Loufoque et déjanté, cet album qui met en scène deux fans absolus, deux siècles avant l'ère de la télé et d'internet, est en décalage assumé avec le sérieux poussiéreux qui entoure généralement l'évocation de l'oeuvre de Rousseau. L'intrigue parallèle, une histoire d'amour en image inversée de la nouvelle Héloïse, n'est pas franchement essentielle, mais elle reste plaisante.
Le graphisme est sympa, malgré une police de caractère plutôt fatigante à lire. Voilà un album bien rafraichissant, dont on peut seulement regretter qu'il ne pousse pas plus loin la "pédagogie". Les références et l'esprit sont là, certes, mais cela suffira-t-il à donner à des lecteurs néophytes l'envie de se plonger dans une oeuvre qui demeure, aujourd'hui encore, moderne et essentielle ? En tout cas, la tentative a le mérite de l'originalité.