C
’est une évidence, chaque nouvel album de Bastien Vivès est désormais attendu. Amitié étroite (ou amitiétroite ?) s’inscrit dans la veine de Dans mes yeux publié en début d’année. Une histoire de jeunes et de relations amoureuses d’aujourd’hui. L’occasion de boire à la fontaine caractérisée par la fraîcheur, la grâce, le sens du mouvement qui imprègne le style de l’auteur prolifique au dessin qui coule de source (vu de la fenêtre du lecteur en tout cas). Au sens du découpage synonyme de fluidité, à la prise de risque ou tout du moins à la pointe d’audace formelle qui ne manque pas de s’inviter ici ou là dans ces albums.
C’est tout ce qui faisait le charme du Goût du chlore et de Dans mes yeux. Et qui trouve peut-être sa limite dans Amitié étroite. Après seulement quelques albums, et les deux derniers en particulier qui creusent des sillons voisins, une certaine forme de lassitude a pris le pas. L’aptitude à surprendre est remise en cause. La capacité à illuminer le banal, elle, ne l’est pas dans l’immédiat mais elle se heurte à quelques bémols. Symbolisées, notamment par l’effleurement de certains sujets (la télé réalité, sa superficialité et son voyeurisme mêlés dans laquelle on aurait pu se croire plongé avec la première planche) ou encore par ces intermèdes qui entretiennent volontairement le flou, au sens propre comme au figuré. Deux exemples qui traduisent, au choix, une confiance totale dans la capacité du lecteur à se prendre en main - voire s’en remettre à son intelligence - pour construire son propre développement et son interprétation ou, au contraire, une tendance à user de ce flou comme un élément de style (quelle est véritablement l’intention narrative derrière ces apartés en couleur directe : seulement démarquer ce qui relève de la pensée ? la référence à la télé poubelle n’existe-t-elle véritablement que pour concourir au portrait de Francesca ?).
Si cela relevait du seul détail formel, le doute qui s’installe à propos de la pertinence de ce choix ne ferait pas tache d’huile et ne risquerait pas de plomber le côté fleur bleue du lecteur, en vol vers la destination qu’il avait en tête à l’entame de la première page : son petit nuage. Là, le tort est sans doute d’épier le signifiant et l’interpellation là où ils ne sont pas. De complexifier, au corps défendant de l’auteur, ce qui est dépourvu de complexité.
Reprenons le sujet. Francesca n’est pas la beauté clinquante d’une de ses connaissances retenue pour le casting d’une émission de téléréalité. Sans qu’aucun garçon n’imagine pourtant de ne pas céder lorsque la jolie étudiante montre qu’elle n’est pas farouche et qu’elle se fait entreprenante. Bruno préfère la tranquillité et les séances ciné en solo aux attroupements bruyants. Il est son confident, elle le pousse à sortir de sa coquille, leurs rencontres leur sont indispensables. Seul le temps qu’ils peuvent passer avec un(e) autre pour vivre une relation amoureuse peut mettre de la distance entre eux. Sont-ils le symbole d’une sorte de Graal que constitue l’amitié homme-femme, chaste et sans arrière-pensée ?
Si l’on accepte que le thème soit énoncé et illustré plutôt que traité, la bluette est jolie, la musicalité du style, on l’a dit, fait qu’il est aisé de se laisser porter. Mais le genre de "l'histoire toute simple" est casse-gueule. Une fois, le charme opèrera et l’abandon sera total. Une autre, le double sens donné à la notion de légèreté se révèle à double tranchant et la clémence est mise à rude épreuve. Comme une pièce lancée qui tombe du bon ou du mauvais côté, son destin n’est pas à l’abri d’un soupir de lecteur. Pour Amitié étroite, c’est sur la tranche qu’elle tournoie. Pas plus que l’album n’a de conclusion (facilité ? élément de signature ?), il n’est pas sûr que cette partie de pile ou face en ait une à l’heure d’émettre un jugement catégorique : plaisir en demi-teinte ? semi-déception ? Au rendez-vous pour le prochain, et une revanche à prendre.
Au début de cette lecture, je me suis dis que j'avais dû me tromper dans le choix de ce roman graphique. KSTR ne m'a pas réellement déçu par le passé avec des tires qui tiennent la route (comme le récent Rocher Rouge). J'avais l'impression de lire une histoire pour midinettes à la recherche d'amours volages au détour de tous les coins de rues tout en participant quand même au casting de la Star Academy ou autres émissions de télé-réalité pour gogols enfarinés.
Ouf ! Amitié étroite était au final plus que cela ! On découvre une relation étrange d'une adolescente qui tient à réserver une place de choix à son ami au milieu de ses copines et autres conquêtes du samedi soir. Bien entendu, cette relation va évoluer.
Le dessin est plutôt quelconque. Il y a des pages du plus mauvais effet graphique qui entrecoupent le récit. Sur ces pages, les personnages sont mystérieusement effacés au point d'être totalement méconnaissables. Qu'a voulu dire l'auteur ? Cela reste un mystère.
Au final, cela se laisse lire. La fin s'avèrera un peu décevante mais n'était-on pas dans le monde des artifices et de l'éphémère ?
(6/10: assez bien)
A la lecture de "Amitié Étroite", il m'a semblé retrouvé plusieurs éléments de "Elle(s)", et du style Vivès en général (un minimum de lignes, des contours non fermés, des aplats de couleurs).
Coté recto, ce graphisme peut paraitre nonchalant et même assez rebutant. Toutefois, Moebius lui-même ne cherchait-il pas à faire disparaitre l'ego du dessinateur derrière le dessin?
Coté verso, la relation entre ces 2 jeunes adultes est plutôt finement décrite - la difficulté à comprendre ses propres sentiments, la différence de significations que les gens associent aux relations physiques - etc
Je pense que cet album résonnera vraiment différemment en chaque lecteur, suivant son âge, et ses expériences amoureuses.