C
’est une fable musicale dans une étrange et lointaine contrée. Günel, homoncule dégorgé des boyaux noueux d’un tronc d’arbre caducéen, se met en quête de la fleur qui lui gagnera l’amour d’une frêle jeune fille. Mais la fleur de Jaün – ce philtre aux cinq pétales - est tapie au fond d’un lac gardé par de bruissantes chimères : les Vélies.
Ce livre-disque, cet ouvrage bilingue français-klokobetz illustré par Ludovic Debeurme, dépeint, au travers l’itinéraire de l’un de ses plus sombres représentants, l’incroyable monde de Klokochazia dont Labyala Nosfell s’est fait le poète démiurge et le conteur privilégié. Aux confins de la musique, de la littérature et de la bande dessinée, se déploie un univers singulier et envoûtant, à la fois féerique et terrifiant. Avec son esthétique si particulière, Ludovic Debeurme expose une galerie de monstres, de créatures hybrides à l’humanité troublante, à la sexualité suintante. Chaque être, parfois affublé d’un masque phallique, affligé de dérangeantes malformations comme autant d’appendices surnuméraires, y semble comme... vicié. Les illustrations se font gravures baroques et laissent parfois place, en annexe et aux côtés d’inventions sémantiques, à des planches anatomiques, à des peintures verdâtres, où des visages tourmentés, littéralement décomposés, suscitent le plus grand malaise. La minutie de la composition, la précision du trait, semblent empreintes d’une froideur glaçante, et le conte, loin d’apaiser les peurs d’enfant, vient les raviver. Ludovic Debeurme s’attache à réinterpréter, à réorchestrer - à la manière du disque - la cosmogonie klokochazienne. Les deux écritures teintées de surréalisme entrent en résonance, celles de deux auteurs qui se refusent à grandir comme à sacrifier à la cruauté originelle des légendes.
Derrière la chanson de geste, se dessine un récit cruel, une réflexion métaphysique sur la convoitise, la vanité, mais surtout le passage à l’âge adulte comme rite initiatique auquel viennent se mêler la rupture affective : les origines familiales, le rapport au père. A l’instar d’un Jolies Ténèbres, Le Lac aux Vélies se présente à mi-chemin de la fable, de l’introspection onirique et de la psychanalyse. Si le conte est la représentation symbolique de la psychée de l’enfant, l'innocence de ce dernier n’est que feinte et recèle nombre de coins nauséeux. A relire Bettelheim, cela semblait évident : « Tout conte de fées est un miroir magique qui reflète certains aspects de notre univers intérieur et des démarches qu'exige notre passage de l'immaturité à la maturité. Pour ceux qui se plongent dans ce que le conte de fées a à communiquer, il devient un lac paisible qui semble d'abord refléter notre image ; mais derrière cette image, nous découvrons bientôt le tumulte intérieur de notre esprit, sa profondeur et la manière de nous mettre en paix avec lui et le monde extérieur, ce qui nous récompense de nos efforts » (Psychanalyse des contes de fées). Ce Lac aux Vélies n’a pourtant rien de paisible et l’épigraphe d’Henri Michaux sonne comme une révélation :
« Cela commença quand j’étais enfant.
Il y avait un grand adulte encombrant.
Comment me venger de lui ?
Je le mis dans un sac. Là je pouvais le battre à mon aise.
Il criait, mais je ne l’écoutais pas.
Il n’était pas intéressant ».
De Ludovic Debeurme, lire aussi les chroniques de :
» Le Grand Autre ;
» Lucille.
» Le site de Nosfell
Poster un avis sur cet album