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red et Bradley aiment à se rejouer le Parrain, à se rêver en caïds. Ces petites frappes sans envergure vont bientôt se laisser dépasser par les événements. Un contrat leur a été confié : se débarrasser d'un quidam devenu gênant. Un coup trop gros ? Le duo de magouilleurs n'en a pas conscience. Déconnectés de la réalité, bercés d’illusions, ils s'imaginent déjà mener la belle vie, échapper à ce Ploucland, à ce marigot dans lequel ils s'ébattent. Derrière l’insouciance et la bêtise, il y a la violence, celle de jeunes losers incapables de mesurer l’étendue de leurs actes, l’ampleur de la tragédie qui les guette. Ils ne pensent pas vraiment à mal. S’ils commettent l’irréparable, c’est sans vraiment le vouloir, puis, sans vraiment le regretter. A peine s’ils pensent d'ailleurs. C'est que leur comportement semble régi par des modèles fictionnels – de Se7en à Reservoir Dogs – et, pour toute forme de morale, par des valeurs cotées en bourse. De l’oseille, de la came, un peu de sexe… hasta la vista baby ! Autour d’eux, gravitent quelques personnages tordus : un dealer vérolé, un producteur de films de boules à deux balles, un flic boulimique rattrapé par les souvenirs enfouis d’un crime remontant à la surface, une "desperate housewife" imbibée et nympho, ainsi que deux poules moins écervelées qu’elles n’y paraissent. Un casting gratiné. Évidemment, ça dérape. Le coup était foireux, la bourgade s’enflamme et le tout se fait barnum tragique et speedé.
Ozanam et Rica connaissent leurs classiques, cela ne les empêche pas d’avoir de la personnalité et de livrer un récit d’une belle intensité. Ainsi, malgré l’impression de déjà-vu, l’aspect caricatural des personnages et des dialogues convenus, on se laisse agréablement porter par un scénario surchargé de références assumées, où la violence est aussi soudaine que burlesque, où l’humour se mêle aux clins d’œil sanglants. L’ouverture, toute en digressions cinématographiques, est on-ne-peut-plus tarantinesque, quand la construction même de l’album paraît emprunter à Pulp Fiction : quatre histoires et autant de chapitres pour un étrange jeu de piste qui, selon une logique spatiale et temporelle, forme une boucle narrative. La composition des planches évoque par ailleurs les travaux de Mezzo et Pirus sur Deux tueurs ou Mickey Mickey : la création se situe à l'intérieur de la case, de la sélection des gros plans à l’utilisation du hors cadre, en passant par le choix des angles de vues. Rica donne dans la caricature et un graphisme noir tout juste rehaussé de teintes ocre ou rouille. Tanxxx n'est pas loin, Burns non plus. Et si l’intrigue est mince, si certaines scènes sombrent parfois dans la pénombre – la faute à quelques soucis d’impression –, entre le texte et l’image, l’osmose est parfaite et la mise en scène nerveuse. E dans l’eau a de quoi ravir, par ses multiples résonances, une ambiance glauque et des personnages dégénérés, les amateurs de polars bisseux et déjantés.
» Du même scénariste, lire aussi les chroniques de Last Bullets et de King David
» Le blog de Rica.
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