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unnite ou Chiite ? Depuis la mort de Mahomet, l’Islam est divisé sur un point qui apparaît, encore aujourd’hui, comme relevant d’une question de succession. Au XIe siècle, l’Iran est en grande majorité chiite. Pourtant, les Seldjoukides, un peuple venu de Turquie, est parvenu à imposer le Sunnisme, attisant ainsi les tensions entre les deux confessions. C’est sous le règne du sultan Malik Shah que le pays atteint son apogée culturelle et scientifique sous la houlette du grand vizir Nizam al-Mulk et d’Omar Khayyâm, un érudit qui mit au point notamment le calendrier persan, encore utilisé de nos jours. Néanmoins, cet apparent équilibre est fragile. Les luttes intestines font rage et les ismaéliens, menés par Hassan ibn Sabbah, fondateur de la secte des Assassins, entrent en résistance.
C’est dans ce climat tourmenté que débute l’histoire du Sourire des marionnettes. Un meurtre, tout d’abord, celui du grand vizir, exécuté par un fanatique qui gardera, même sur sa tête tranchée, le sourire aux lèvres. Puis un second, qui mettra fin aux jours du sultan. Omar se retrouve du jour au lendemain seul, mais surtout sans protection. Il suscite en effet des sentiments contradictoires : de l’admiration, celle d’Ibrahim qui devient son chevalier servant, à la haine des fidèles du calife qui le considèrent comme un hérétique. Il faut dire que le savant pratique l’Islam d’une façon très particulière. Epicurien avant tout, il n’hésite pas à user et abuser des bonnes choses, de son épouse Shirine en particulier mais aussi du vin, dont il est friand. Ce double assassinat le pousse à fuir vers Alamut, la forteresse d’Hassan ibn Sabbah.
Jean Dytar a réussi son pari : obtenir une alliance parfaite entre conte et récit historique, tout en abordant de façon légère mais très instructive le thème de la religion islamique. L’utilisation du personnage d’Omar Khayyâm est la principale raison de ce succès. Son statut d’érudit, de libre penseur, mais également sa vision non-conformiste de la foi, permettent d’en faire un témoin privilégié des événements ainsi racontés. La relative complexité des différentes croyances, pour un non initié, est effacée par la fluidité de l'enchaînement des faits. Surtout, c’est le remarquable travail graphique de l’auteur qui autorise une totale immersion en terre persane. Il remet au goût du jour l’art figuratif de la miniature iranienne. Les dessins sont enfermés dans de jolis cadres aux contours dorés tandis que les paysages, occupant une place essentielle, sont recouverts de couleurs vives et chatoyantes. Le trait naïf contraste avec la violence, la barbarie parfois, qui émane de l’histoire.
Le Sourire des marionnettes est paru quelques semaines seulement avant l’élection présidentielle iranienne du 12 juin 2009. Même si cette coïncidence ne relève sans doute que du hasard des calendriers, il n’est pas inutile de se replonger quelques instants dans l’Histoire, afin de mieux comprendre le fonctionnement d’une République islamique. L’occasion aussi, et ce n’est pas la moindre, de se pencher sur quelques sujets de réflexion disséminés au sein d’un très bel album touché par la grâce orientale.
Le sourire des marionnettes, une fable ... une BD à la colorisation de grand éclat qui passe de l'imagerie(pas de bulle) à la Bd à bulles. A travers cette histoire qui se passe en Iran, l'auteur Jean Dytar nous emmène à comprendre un peu plus la pensée du monde arabe et nous accompagne dans la compréhension d'une forme d'intégrisme qui profite de la croyance pour asseoir un pouvoir totalitaire dans une forme rude mais juste. Le mage, qui apporte son savoir, malgré son grand esprit et sa grande tolérance en l'espèce humaine , se révèle en finalité et se voit ramené au dicton latin "pulvis es": tu es poussières et tu retournera en poussières. Sa finitude sera dans sa fuite de la réalité, de mourir seul dévoré par les rapaces . Sos os récupérés broyés finiront dans la base de matière pour fabriquer des amphores.
Automne 1092...Un messager du Sultan Malik Shah invite un grand seigneur à aller rencontrer le grand vizir Nizam Al-Mulk. Arrivé sur place le messager tue le grand Vizir, un garde lui tranche la tête. Le Sultan pleure son grand Vizir, mais la rumeur se répend que le Sultan voulait se débarrasser de son grand Vizir nommé par son père: souci d'émancipation. Le Mage Omar Khayyam, qui lit dans les astres dont la gloire retombe sur le sultan qui est son patron, n'a rien vu venir. S'en suis une réflexion sur la fatalité. Certains y voient la main de Dieu , Omar voit que Dieu a créé l'homme libre et donc Dieu n'est en rien responsable dans les actes posés par les hommes. Pour Omar la liberté est ce qui est de plus cher, il préfère être mendiant plutôt que de se soumettre à un pouvoir qui décide à sa place; Omar est un épicurien, la pensée, étancher sa soif, les plaisirs de la vie loin des dangers, être aimé et faire l'amour en retour.
Depuis la mort du grand vizir, l'iran est sens dessus dessous. Les Califes intriguent, le Sultan Malik est égorgé. Omar doit être préservé : ordre de celui qui tient les fils. Omar avoue à sa femme Shirine que ses prédictions il les fait en fonction des aspirations de ceux qui le consultent ; "car celui qui cherche à atteindre un but, si les astres lui sont dit favorables, il atteint son but" et lui Omar en a les honneurs. (bien qu'il n'ait pas vu venir le meurtre). Devant la rage des gens du Calife qui le traite d'athée,, il fuit avec un disciple Ibrahim loin de ce carnage. Laissant sa femme selon sa demande. Ils courent par monts et par vaux, mais tout le monde le chasse car "Omar est l'impie". Aussi Omar décide d'aller en pélérinage à La Mecque, certificat de survie, preuve de son attachement à Dieu. Dormant à même le sol, un message fixé par un poignard le trouve à son réveil "Rejoins-moi à Alamut" signé Hassan ibn Sabbah, le chef des ismaëlites (fondateur de la secte des Assassins). Hassan et Omar étaient amis par le passé,; mais Omar ne veut être inféodé à Hassan. IBrahim lui donne à boire un vin qui lui fait voir Hassan en rêve. Il se rappelle que Hassan a été chassé par le Sultan parce que le Grand Vizir avait falsifié les comptes que Hassan avait promis en quarante jours , comptes que le Vizir ne pouvaient fournir avant un an. Mais comme il était l'ami d'Omar l'astrologue , le sultan l'avait épargné. Parti en Egypte, Hassan a fondé un réseau ismaélite et maintenant c'est lui qui fait tomber les têtes. A son réveil il se retrouve à Alamut emmené par Ibrahim . IL décide d'aller voir Hassan. L'entrevue est très philosophique Hassan lui assure protection. Il lui avoue avoir tué son propre fils qui n'avait pas respecté le dogme imposé par lui. Ainsi il n'avait pas faibli et donc aux yeux de ses soldats il était honnête et juste. Il pouvait exiger ce qu'il voulait, ses soldats allaient jusqu'à la mort par foi en Dieu et en lui. Il donnait dans un jardin d'eden le sexe, l'amour aux guerriers méritants, leur montrant ce qui les attendait au Paradis. Ainsi il avait une armée obéissante. Hassan avoua qu'il se servait de l'eden religieux pour asseoir son pouvoir. Hassan est né pour donner un sens à la vie des autres et être l'objet de fascination. Pour Omar cette attitude en finalité est mortifère, il préfère vivre d'amour et d'eau fraîche et redemande un cheval pour retrouver sa femme et sa liberté. En ami et grand seigneur Hassan lui donne le cheval et Omar va retrouver sa femme qui en finalité représente une forme de prison ; aussi il décide de partir libre en errance, et se perd dans les montagnes, s'endort, se fait dévorer par les rapaces mais libre. Ses os brayés finissent dans la cuvette d'un potier qui fabrique des amphores. A chacun son destin et son éternité..
Jean Dytar est l'auteur que j'ai découvert et qui me semble être le plus prometteur pour l'avenir. J'avoue avoir totalement été subjugué par La Vision de Bacchus qui a été un véritable coup de coeur ainsi qu'une grande découverte pour ne pas dire un coup de maître.
Cinq ans auparavant, il avait produit le prometteur sourire des marionnettes. Il est vrai que le style graphique ainsi que la structure du scénario ont complètement évolué en mieux. Pour autant, on sentait déjà l'ambition de produire quelque chose de puissant philosophiquement et d'inventif.
J'ai juste un peu été déçu par une fin que je n'arrive pas vraiment à comprendre dans les motivations du personnage principal à savoir un ingénieux astrologue iranien. Pour le reste, cela va plus loin qu'un simple conte persan. On remonte aux sources même du mouvement des assassins et du fanatisme religieux.
Vous écrivez: "Les Seldjoukides venus de Turquie.." ERREUR: La Turquie en tant qu'état musulman n'existait encore pas à cette époque. C'est l'Asie Mineure,province orientale de l'Empire Romain d'Orient peuplée de chrétiens en partie Byzantins en partie Arméniens. Elle conserve son nom grec jusqu'aujourd'hui: "Anatolie"=Orient en grec. Les Seldjoukides ont été les premiers pseudo-mongols à faire leur djihad, partant d'Asie centrale (Turquistan et Turqumanistan) ils envahirent le Nord de l'Inde, la Perse et le Moyen Orient où leur fanatisme et leur sauvagerie provoquent la Première croisade. Leurs cousins, membres de la tribu d'Osman (Les Ottomans-Osmanli) vont, bien plus tard, conquérir l'Asie mineure puis Constantinople et, s'ils n'avaient pas été freinés à Vienne et à Lepante, ils auraient islamisé et turquisé toute l'Europe...
Atypique, comme on ouvre un très vieux livre d'heures, on se balade au sein de miniatures persanes de toute beauté. C'est un plongeon dans un monde oublié et raffiné, une civilisation qui porte en elle ce qu'elle a de meilleur comme ce qu'elle a de pire. A travers le destin de l'érudit Omar qui bascule, c'est une reflexion sur le relativisme religieux qui transparait en filigranne.
A lire, parce c'est superbe, c'est raffiné, ça parle d'une culture dont on parle peu dans les médias sinon en mal et c'est intelligent