C
’est sa dernière chance. Ses nombreuses hésitations, son je-m’en-foutisme et sa peur de s’engager dans une relation sérieuse ont fini par mettre à mal son couple. Le dernier coup de téléphone sonne comme un ultimatum : il n’a que quelques minutes pour la rejoindre à la banque et signer enfin l’emprunt de l’appartement. Sinon… Alors, il se dépêche, sort de la librairie, une statue de Corto sous le bras, court… et rencontre Loïc. Une bière, puis deux. Et il repart, en retard. Toujours. Un dernier espoir, passer par la vieille ville pour gagner du temps. Vite ! Il se perd parmi les rues étroites, ne sait plus où aller. Pas un chat dans le quartier, pas de couverture réseau. Juste un hôtel. Il entre pour demander son chemin mais tout le monde semble étonné de sa question, dérangeante. Il ne lui reste plus qu’à attendre que quelqu’un veuille bien l’aider à sortir de ce cauchemar et lui montrer la voie, celle de sa propre existence.
Tout commence comme un parfait récit d’épouvante : un jeune homme un peu distrait mais bien sous tout rapport, une course effrénée à travers la ville, un lieu sombre et inconnu, des personnages bizarres et inquiétants… et la tension qui monte au fil des pages. Comment peut-il s’en sortir ? Chaque tentative est vouée à l’échec et surtout, les nombreuses interrogations sur l’endroit insolite dans lequel il se trouve, n’amènent que très peu de réponses. Paco Roca (Rides, Le Phare…) présente un huis clos oppressant dans une ambiance lourde, parfois glauque, mais également un univers absurde et loufoque.
Un récit qui aurait pu se suffire à lui-même tant il parvient à ménager le suspense et à offrir un ensemble cohérent et homogène. Pourtant, un extrait d’Alice au pays des merveilles, en tout début d'album, met rapidement la puce à l’oreille : Les Rues de sable, c’est aussi autre chose, le genre d’histoire qui distille quelques messages bien sentis et donne, sans avoir l’air d’y toucher, quelques leçons de vie. Dont celle d'un homme qui doit faire face à ses propres angoisses et décider, sous la pression, du sens qu’il veut donner à son existence. Dans un hôtel aux allures de Tour de Babel, il part à la rencontre de ses propres démons : une réceptionniste prisonnière de son travail rêvant aux paysages d’Afrique, un chauffagiste répétant inlassablement les mêmes gestes, un vampire narcissique… Ou la mort devenue l’obsession d’un père de famille qui passe tout son temps dans un cercueil… A moins que le salut ne vienne d’une jeune postière, rongée par la solitude, et dont le seul moyen de communication est d’écrire des dizaines de lettres qu’elle distribue dans tout le quartier. Et s’il suffisait d’un grain de sable pour échapper aux ravages du temps, avant que la clepsydre ne se vide ?
Le trait graphique de Paco Roca évoque une ligne claire moderne. Certains décors sont dépouillés quand il s’agit de se concentrer sur les personnages, quand d’autres décrivent des lieux improbables, comme une chaufferie immense, une salle de clonage ou un hôtel dont les derniers étages se perdent tout en haut, dans le ciel.
A bien y regarder, les points communs entre Rides et Les Rues de sable sont plus nombreux qu’il n’y paraît. Dans les deux ouvrages, c’est une immersion dans les méandres de l’esprit humain que propose l’auteur. Une aventure intérieure assise sur un récit à suspense : bluffant et passionnant.
Du même auteur espagnol Paco Roca, j'avais pu apprécier dernièrement Le Phare. Cette fois-ci, on entre dans une histoire bien étrange qui est en réalité une parabole sur l'existence.
Un fiancé va arriver sérieusement en retard au rendez-vous que lui a fixé sa petite amie chez le banquier pour un prêt d'une maison. C'est un engagement qui l'attend. Or, il semble fuir et retarder l'inéluctable. C'est alors qu'il se perd dans un vieux quartier qu'il ne reconnaît plus. Il est arrivé dans une autre dimension imaginaire. Il n'aura alors de cesse de trouver le chemin pour sortir de cet endroit.
J'ai beaucoup aimé ce petit mot sur la préface de l'album :
"- Voudriez-vous me dire s'il vous plaît quel chemin je dois prendre pour m'en aller d'ici ?
- Cela dépend beaucoup de l'endroit où tu veux aller.
- Peu importe l'endroit...
- Dans ce cas, peu importe la route que tu prendras !"
Vous l'aurez peut-être deviné mais c'est tiré d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll.
On entre en effet dans une sorte de labyrinthe géant d'où on ne sort pas. Cela fait plus de 30 ans qu'un vieil homme tente de quitter cet endroit. Personne n'y est jamais parvenu. On sombre dans la spirale du non-sens et de l'inextricable. Oui, mais cette absurdité possède une profonde signification philosophique pour peu qu'on se prenne le temps de réfléchir au sens de l'existence.
Il y a tout un côté qui m'a étrangement rappelé Les Cités obscures de Peeters et Schuiten. Et puis, cette lecture s'est révélée riche d'enseignements car c'est pertinent et intelligent au-delà de toutes les apparences trompeuses. Il n'y aura point de rues de sable mais plutôt un déluge d'eau à travers toutes ces ruelles.
Etes-vous prêt pour un voyage philosophique dans un dédale étrange et paradoxal ? Dans l'affirmative, attention au chemin que vous prendrez !