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urant son séjour chez les Aarib, François Le Guennec s’aperçoit que tout n’est pas aussi idyllique qu’il se l’imaginait. Parmi les tribus marocaines, les mots de la devise républicaine française sonnent creux. A quelles liberté, égalité ou même fraternité peuvent prétendre les esclaves des mines de sel de Taoudenni au sein du vaste empire ? Amer et dégoûté, le jeune homme s’enferme dans un silence buté qui lui vaut le surnom de « majnoun » (fou) auprès de ses hôtes et lui fait oublier les dangers constants du désert. Le sable teinté de rouge sous l’assaut d’une troupe de brigands, le rappelle à la réalité. François n’a plus qu’un désir : fuir le souvenir de cet épisode et, peut-être, retrouver la belle Leïla…
El Majnoun clôt le diptyque racontant l’expérience d’un journaliste idéaliste auprès d’une tribu nomade à la fin des années 1930. Aux découvertes et émerveillements succèdent les déconvenues, les doutes et la rudesse d’un monde différent. C’est dans cette adversité l’obligeant à revoir ses convictions pleines d’humanisme que le héros, qui s’est fondu parmi les Aarib, se sent à nouveau totalement étranger. Ce passage de la tentative d’assimilation aux frustrations engendrées par les différences culturelles et le refus de plier devant la violence est très bien décrit par Jérôme Heydon, dont le lecteur ressent tout l’attachement et la fascination pour le Maroc et les hommes bleus.
Le récit a les accents des grands romans de voyage d’un Kessel, d’un Conrad ou d’un Manfreid. Il décrit d’abord la terre, les peuples, les sensations à travers le regard du narrateur, ce qui confère une impression d’étirement sans fin de l’histoire, à l’instar des vastes étendues de dunes parcourues par la caravane. Et lorsque l’action survient sans crier garde, elle est si rapide, si intense qu’elle déroute, surprend et se retrouve suspendue, comme brisée par le retour d'une longue monotonie mélancolique. Quoique bien rendue, cette dernière, liée aux réactions d’enfermement de François, ôte toute saveur aux évènements, comme s’il fallait absolument accompagner l’écrivain dans son abattement. Ceci, joint à la lenteur narrative peut gâcher le plaisir de lecture si on ne se fond pas entièrement dans le personnage.
Le graphisme aide cependant à pénétrer pleinement dans cet espace hostile. Le dessin restitue à merveille les couleurs chaudes du désert, la folie meurtrière qui peut en surgir ou la petitesse de l’homme dans cette immensité de sable. Chaleur, déshydratation, peur, angoisse, vent brûlant, rires et chants sont palpables dans ces pages qui se livrent comme autant de belles cartes postales. Quelque peu figés, les corps et les visages s’en détachent tels de vieux souvenirs presque effacés, immuables, imperturbables.
Avec son récit lent, un rien désuet, ce second tome d’Aarib en dépitera certains. Néanmoins, sans être impérissable, le scénario est bien mené et propose un dépaysement plein de charme.
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