L
e baseball est parsemé de légendes, de mythes "bigger than life". L’épopée de Leroy Robert (Satchel) Paige, le lanceur le plus célébré des negro leagues, fait à cet égard figure de paradigme quand elle illustre aussi, et avec force, la politique ségrégationniste américaine. Des premiers pas sur un terrain aux côtés des Pittsburgh Crawfords au début des années trente jusqu’à l'intronisation dans le Hall of Fame de la ligue majeure en 1971, la carrière de ce joueur à la longévité sans pareille se confond pour toute une génération avec l’histoire de l’un des sports les plus populaires outre-atlantique. Paige était ainsi connu pour son âge indéterminé, l’exceptionnelle vélocité de ses balles, son indolence feinte, ou sa manière de faire asseoir ses joueurs de champ avant d’armer l’une de ses spectaculaires "bee-balls". Adulé des foules, il a concouru à l’édification de sa légende comme à l’avènement du sport-spectacle. Surtout, en suscitant l’admiration, de par son talent et son charisme, Satchel Paige a largement favorisé l’accès des noirs à des terrains réservés jusqu'alors aux seuls blancs.
Mais le récit de James Sturm, illustré avec talent et tout en bichromie par le trait souple de Rich Tommaso, ne se résume pas à une simple hagiographie, une ode émerveillée au sport comme instrument de libération sociale. A l’instar du Swing du golem où il traitait de l’ambiguïté du processus d’intégration des juifs, James Sturm cherche avant tout à illustrer et à mettre en perspective la condition des noirs aux États-Unis dans le premier vingtième siècle. Si Sturm en vient à évoquer la vie de Satchel Paige, c’est au travers les yeux d’Emmet. Si ce dernier a côtoyé la légende, ce n’est que le temps d’un match avant de s’en retourner dans les champs, aux bons soins de grands propriétaires sûrs de leur droit comme de leur force. Là, point d’émancipation, ni même de place pour une fierté qu’il faut sans cesse ravaler. Les lois "Jim Crow", cet ensemble composite de règles ayant prospéré dans les États du sud, avaient rempli leur office. Ce n'est qu’en 1964 qu'elles furent renvoyées, par la promulgation du Civil Rights Act, aux oubliettes de l’histoire. "Striking Out Jim Crow" annonçait justement le titre original.
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