Dans mes yeux est un foutu casse-tête. Comment ne pas en faire des tonnes pour parler de ce qui paraît si simple ? Comment éviter le verbiage alors qu’aucun mot ne vient pour restituer ce qu’il évoque ? Une jeune femme, encore étudiante, aperçue à la bibliothèque universitaire. Lui n’a d’yeux que pour elle et, une poignée de crayons de couleur en main, nous invite à partager cette rencontre, à la naissance de cette idylle. Dans ses yeux, voilà comme elle est…
Dans ce livre, il y a cela et seulement cela. Elle, nature, gracieuse, d’une fraîcheur qui vous fait chavirer le cœur. Avec ses petites prises de tête, sa façon de jouer avec les priorités, de ne pas savoir ce qu’elle veut dans l’instant qui en suit un autre où elle avait l’air décidée à aller jusqu’au bout de ses intentions. Lui, ne peut plus la quitter du regard, pour n’être privé d’aucun de ses mouvements, d’aucune de ses attitudes, d’aucune de ses mimiques. Elle semble parler beaucoup, tandis que lui semble sans voix ou presque. L’histoire, après tout, est ordinaire alors autant s’épargner des dialogues banals par ce jeu qui consiste à lui laisser, à elle seule, la parole. Pas de traits non plus, seulement de la couleur, qu’on prendra, alternativement ou concomitamment, comme la traduction de l’hésitation, de la fébrilité ou d’un frémissement. Comme celui ressenti à l’occasion d’un baiser, qu’on reçoit, les yeux fermés.
Les plus blasés (déjà !) diront que c’est seulement un pas de plus dans l’expérience La boucherie (Ed. Warum, blog La boucherie - le livre ), mais le pas de géant qui consiste à faire d’une expérience un livre est allégrement franchi. D’autres feindront de ne pas être surpris car Le goût du chlore – multi-récompensé à Angoulême et ailleurs – contenait déjà son lot de fragilité maîtrisée, d’audace dans le traitement des couleurs, d’aisance bluffante dans le rendu du mouvement. Sans doute, mais avec Dans mes yeux, ceux-là devraient être aujourd’hui rejoints par de nouveaux fans. Avec sa vue subjective, son dépouillement qui n’exclut pas cette fois la chaleur, sa subtile invitation à se retourner vers des émois passés, Bastien Vivès franchit un nouveau palier. Au point de trépigner d’impatience en attendant de découvrir ce que le prochain réserve…
Dans cette oeuvre, Bastien Vivès décide de ne pas montrer l'un des protagonistes d'une rencontre amoureuse. Le thème reste le même mais la méthode change puisque nous découvrons l'action dans les yeux de son héros, un jeune garçon. C'est intéressant comme approche car on est bien dans un point de vue subjectif pour une analyse de lecteur qui sera objective.
Ce crayonné donne un aspect de beauté aux planches. Mais là encore, la fin nous laisse perplexe. On dirait que l'auteur ne sait pas comment terminer ces histoires ou du moins, cela se termine en queue de poisson ce qui laisse toujours un goût amer un peu comme dans celui du chlore. Je pense qu'il a prit en compte ces remarques car la suite de son oeuvre sera un cran au-dessus.
(7/10: bon)
Avec "Elle(s)" et "Amitié Étroite", ce livre constitue de fait un triptyque sur le thème du sentiment amoureux dans l’œuvre de Sébastien Vivès.
Tous publiés entre 2007 et 2009 dans la collection KSTR, Vivès y utilise 3 techniques graphiques différentes pour des histoires parallèles : la puissance et l'incertitude des sentiments, chez les jeunes adultes des années 2000.
"Dans mes yeux" adopte un point de vue assez novateur : tout le récit est vécu à travers vers les yeux et les oreilles d'un seul des protagonistes. Ainsi on ne voit que le personnage féminin, et on n'entend que ces paroles à elle.
C'est un point de vue agréable, qui permet de se projeter immédiatement dans la situation de séduction. Mais c'est aussi un moyen plutôt astucieux pour Vives de n'écrire que la moitié des dialogues, charge étant laissée au lecteur d'imaginer les traits d'esprits de notre personnage.
Malgré un trait rapidement esquissé, Vives rend très bien la variété des postures, des attitudes et des visages - rien à redire quant aux choix graphiques.
Concernant le scénario, j'aurais aimé une fin plus élaborée, celle-ci laissant un gout d'inachevé. D'ailleurs, le point de vue intérieur aurait permit un dénouement plus original. Par exemple, notre personnage aurait pu être une jeune femme.
Graphiquement, c'est donc mon Vives préféré. Mais pour l'histoire, je crois avoir été plus touché par "Amitié Etroite".