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Rome, Rodrigo Borgia fait ses délices des soirées de luxure qu’il organise à la Cour pontificale. Lors de l’une d’elle, il s’ouvre le chemin des cuisses de sa propre fille, Lucrèce. L’ayant promise à son fils César, il se rabat sur une autre beauté de la famille, sa nièce Julia Farnèse, qu’il libère du couvent où elle croupissait. Mais les débauches continuelles de l’entourage du pape provoquent les médisances des courtisans et le courroux de Savonarole qui ne cesse de le conspuer et d’appeler le châtiment divin sur lui. Les cieux semblent donner raison au moine florentin quand la Ville devient, une nouvelle fois, la proie de la peste et que Charles VIII de France menace d’envahir la péninsule pour s’approprier le royaume de Naples et détrôner Rodrigo Borgia sur les conseils du cardinal Julien della Rovere. Mais le pape, ses conseillers et son sbire veillent…
Dans Borgia, on retrouve le concentré de l’image que la famille éponyme a laissé dans l’Histoire : le stupre, le poignard et le poison. Faisant la part belle à cette sulfureuse réputation, Alexandro Jodorowsky (L'Incal, Mégalex, Bouncer, Les Méta-Barons, Pietrolino, etc.) s’ingénie à travers la série à brosser un tableau cru de ce qu’il présente comme la première famille mafieuse. Il montre donc les manigances, coups de force, arrangements, placements judicieux - via alliances matrimoniales et népotisme - ou liquidations nécessaire perpétrés par cette tribu d’Espagnols perçus comme de dangereux arrivistes. Sans oublier une autre de leurs occupations favorites : le sexe. Celui-ci est omniprésent, comme dans toute bonne production érotique mais sa répétitivité dans les situations mises en scène d’un album à l’autre laisse l’impression d’une perpétuelle redite.
Les flammes du bûcher ne font pas exception et la première moitié du tome a des airs de déjà-vu, comme si rien n’avait avancé depuis le précédent. Il faut attendre deux parties de jambes en l’air incestueuses entrecoupées par une descente musclée dans un couvent pour repartir dans le vif d’une action moins vénérienne et retrouver les autres aspects de la renommée des Borgia : la pointe de l’épée et les manœuvres subtiles. Jusque là, s’il y a motif à se rincer l’œil, on s’ennuie un peu. Graphiquement, en revanche, il est difficile de faire la fine bouche face au dessin de Milo Manara (Le Déclic, Giuseppe Bergmann, Quarante-six, Les yeux de Pandora, etc.). On se laisse séduire par ses femmes aux courbes et aux allures aguicheuses, par le raffinement trouble des poses et des expressions qui appellent au baiser et par ce parfum de libertinage qu’il distille avec maestria. Et on succombe aussi facilement à son trait maîtrisé qui restitue une ambiance renaissante des plus chamarrées et des plus échevelées.
Incontestablement, le duo d'auteurs réussit à captiver l'attention du public en peignant de façon vivace les turpitudes en tous genres de cette famille des plus décriées et encore fascinante aujourd'hui. De quoi excuser certaines légèretés ou redondances scénaristiques...
La série est sublime et comme c'est si bien dit dans une autre BD récente, on ne juge pas la valeur d'une adaptation à sa fidelité au support original, on la juge à la qualité de sa trahison et ça tombe à point nommé pour Borgia. Je dirai que cette série est un must absolu de deux géants de la BD.