Le paradis… en quelque sorte est d’abord l’histoire d’un fleuve, le Mahakam qui s’étend sur près de mille kilomètres à l’est de l’île de Bornéo. En amont, vivent les Aoheng, un peuple qui a su repousser longtemps les appels de la ville, située en aval. Les lumières finirent pourtant par être les plus fortes et l’exode commença. C’est également le progrès qui remonta le fleuve, apportant son lot de confort en tout genre mais aussi les vices inhérents à une société en plein développement : l’alcool, la drogue et la prostitution. Seules les rapides du Mahakam et l’absence de réseaux routiers empêchent, encore aujourd’hui, toute une population d’être engloutie par la civilisation moderne.
Troub’s débarque sur l’île en 2005, à Balikpapan, pour enseigner quelques rudiments de dessin à des enfants d’expatriés. A la fin de sa mission de trois semaines, il décide de quitter l’Indonésie touristique pour remonter le Mahakam, un périple parsemé de rencontres extraordinaires, mais aussi un véritable voyage dans le passé, où le temps semble s’être arrêté au siècle dernier.
Après Penser parallèle, dans lequel l’auteur s’est adonné à un exercice de style intéressant en comparant deux des plus grandes îles du monde, Madagascar et l’Australie, il revient avec Le paradis… en quelques sorte à un carnet de voyage beaucoup plus classique. Il serait d’ailleurs plus juste d’employer le terme d’album illustré plutôt que celui de bande dessinée. Car c’est le texte, fort bien écrit, qui domine dans ce bel ouvrage de plus de 230 pages. Quand Troub’s troque la plume pour le pinceau, c’est pour étayer ses commentaires, pour agrémenter son récit de quelques paysages ou de quelques portraits de personnages croisés ici ou là. Parfois, une succession de cases ainsi que deux ou trois phylactères sont présents, comme pour rappeler au lecteur qu’il est bien en présence d’un livre estampillé « 9ème Art ».
Pour que l’enthousiasme du voyageur soit contagieux, le récit ne doit pas se réduire à une succession de belles images, comme autant de photos réunies dans un album constitué de retour de vacances. Libre à l’auteur de trouver alors le petit plus, la valeur ajoutée qui transformera son compte-rendu en histoire attachante, comme on peut en trouver dans Carnet de Bord de Lewis Trondheim, Les Carnets de Johan Sfar ou Kaboul Disco de Nicolas Wild.
Malheureusement, Le paradis… en quelque sorte n’est pas de cette trempe. Si cette chronique, basée sur une expédition en plein cœur de l’île de Bornéo, apporte une soif très communicative d’évasion mais aussi des questionnements relatifs au bien-fondé d’une expansion inéluctable de la société moderne, elle laisse également le lecteur un peu sur sa faim. La faute à un récit trop linéaire, trop lisse aussi, qui ne laisse à aucun moment la place à un brin de fantaisie. Une relative austérité qui ne doit pas empêcher, non plus, la découverte d’un ouvrage enrichissant, à défaut d’être passionnant.
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