C
ette édition augmentée des Yeux à vifs, l’ouvrage qui avait permis au lectorat francophone de découvrir Adrian Tomine, se compose d'une quinzaine de courts récits et autant de variations sur l'incommunicabilité, l’insatisfaction et le mal-être. Fort d’une trentaine de pages supplémentaires, d’un lettrage recomposé et d’une maquette proche de la version originale, Insomnie et autres histoires est surtout l’occasion de se pencher sur les premiers travaux de l’auteur alors que paraît sa dernière œuvre : Loin d’être parfait.
L’univers est déjà en place, il s’y retrouve cette vision réaliste et désenchantée de la middle class américaine. Le regard de l’auteur se fait presque naturaliste pour explorer les failles et les contradictions de la modernité ainsi que pour dépeindre le quotidien d’individus esseulés, assommés par une profonde mélancolie, accablés de frustration, de chagrin et de désirs inassouvis. C’est une narration toute en délicatesse et en sobriété qui se déploie au fil des pages. L’emploi de récitatifs bâtis autour d'un système de monologues intérieurs vient serrer au plus près les personnages. Le raffinement et la justesse du ton illustrent des réactions ou des gestes apparemment anodins mais qui révèlent leur lot de béances, leur cohorte de drames se nouant au cœur des êtres. Le héros moderne fonctionne à basse intensité. S'il doute, il peine aussi à assumer ses choix, que ce soit par lâcheté ou par égoïsme.
Dans un décor souvent épuré, où tout paraît factice, les corps s’avachissent, les rapports se tendent et les regards se perdent. La ligne est claire, le gaufrier classique quand la composition des planches s’appuie sur des formes géométriques simples et l'utilisation de lignes verticales, horizontales et diagonales fortes venant structurer la vignette. Les planches se couvrent de larges aplats de noir et de blanc qui nourrissent les contrastes. La frontière entre espace intérieur et extérieur s’accentue progressivement, marquant tantôt le silence, tantôt la tension, tantôt l’exclusion. Les figures n’en sont que plus isolées, comme prises au piège d’une souffrance qu’elles semblent avoir provoquées et d’un immobilisme que l’on devine moite et confortable. Parfois Tomine opte pour des techniques d’encrage ou d’ombrage alternatives – le lavis, l’utilisation de variantes de gris, le tramage – mais il en revient toujours à plus de simplicité, comme s’il privilégiait le sens à l’esbroufe d’un effet graphique.
Un essai d'autofiction tendre et désespérée.
Lire aussi la chronique de Loin d’être parfait.
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