E
xploitation, violence, pauvreté, maladie, autant de terrains glissants qui peuvent amener les enfants sur de potentiels chemins de traverse jusqu'à l’illettrisme, hors des sentiers battus de l’éducation classique. Ce collectif propose d’entendre les parcours de personnes entraînées dans cette spirale, qui n'en sont pas nécessairement sorties, mais en ont pris conscience, ce qui constitue déjà un grand pas vers l’avant.
Paroles de … est un concept maintenant éprouvé où un scénariste centralise et organise des témoignages d’individus qui sont mis en image par autant de dessinateurs. L’idée première étant de donner la parole à ceux qui n’en ont pas nécessairement la possibilité. Après trois albums centrés sur l’univers carcéral, ces ouvrages collectifs ont offert l’opportunité à d’autres formes d’exclusions de s’exprimer (Paroles de sourds en 2005, puis Paroles de tox en 2006).
De manière assez incongrue, Paroles d’illettrisme se distingue de ses deux derniers prédécesseurs par son titre qui évoque non pas l’être, mais l’état. Peu importe, le sujet est posé, sans doute moins limpide dans l'imaginaire collectif que ceux déjà abordés. En effet, l’illettrisme n’est pas l’analphabétisme et par là-même reste assez diffus dans ses limites. C’est ce problème qui, au-delà de la bonne intention du projet, pénalise la concrétisation sur papier des récits proposés. Si les causes propres à chacun sont explicites, les conséquences sont plus difficiles à appréhender et le lecteur reste un peu face à ses interrogations.. Ce n’est pas la narration, relativement fluide, qui est en cause, mais bien un certain flou sur le mal exposé qui ne parvient pas à se définir au fur et à mesure de la lecture. Dans un sens, le problème est assez bien cerné car il montre bien que cette difficulté est bien implanté et d'origine relativement diverse. D’un autre, et de manière assez logique, les conséquences de ce handicap social peinent à se démarquer réellement de celles que vivent une part de la population défavorisée. Ce qui est bien montré, par contre, c’est la frustration, doublée de ce sentiment d’avoir irrémédiablement loupé quelque chose, ressentie à l’arrivée à l’âge adulte.
Dés lors, les différents itinéraires ne constituent pas nécessairement un tout d’une cohérence évidente derrière l’objet initial de ce collectif. Conséquence, les contenus sont plus ou moins à même de d’emporter le lecteur sur les traces des protagonistes, la frontière entre misérabilisme et dureté étant parfois très ténue. D’un point de vue graphique, cet album présente les mêmes difficultés que pouvait poser Paroles de sourds, à savoir un sujet pas nécessairement propice à une folle exploitation, là où Paroles de tox tenait un terrain plus favorable à laisser divaguer les crayons. A ce jeu, certains récits tirent leur épingle, ainsi le trait nerveux de Benjamin Flao illustre avec violence la difficulté qu’éprouve Maxime à intérioriser ce qu’il ne parvient à formuler avec clarté. De même, le dessin tout en douceur au fusain d’Eddy Vaccaro (atmosphère graphique assez proche de Seules contre tous) sert à merveille le parcours littéralement subit et quelque peu surréaliste de Patrick.
Paroles d’illettrisme se perd un peu dans la diversité de son thème central. Cette réserve exprimée, les récits sont agréables à lire et certains sortent du lot. De quoi interpeler différents lecteurs et ainsi participer à la lutte contre la banalisation du phénomène, ce qui constitue sans doute l'intérêt premier d'un tel ouvrage.
Dans la série Paroles de …, découvrez :
Paroles de tox
Paroles d'illettrisme est un recueil scénarisé par Luc Brunschwig mettant en scènes huit témoignages différents. Huit dessinateurs vont se succéder également. Le style graphique n'est point homogène. Seule la couleur est absente. Dans l'ensemble, la qualité est acceptable.
J'ai bien aimé le récit de ces personnes qui ont connu l'illettrisme et de toutes les difficultés que cela pouvait engendrer dans leur vie. Je n’en avais pas trop conscience jusqu'ici. C'est important d'aborder pour une fois ce thème dans la bande dessinée : l'initiative était louable. On se rend compte que cela touche des étrangers, des enfants malades, des gens défavorisés : bref, ceux que la société a mis à l'écart. Certains témoignages sont poignants et en tout cas toujours justes.
Pourtant, j'ai senti beaucoup d'optimisme à la fin de chaque récit. Je n'aurais cependant qu'un regret : l'histoire de Zahia qui est découpée en 3 parties se termine pas vraiment sur une note de gaieté. Cela tranche singulièrement avec le reste. De plus, on reste un peu sur notre faim avec son récit dont on aurait aimé connaître la suite.
En conclusion, je dirai que j'ai apprécié l'authenticité de ces récits. Une vraie bd humaniste comme je les aime.