D
ans ce qui ressemble fort aux paysages de Franche-Comté, trois trentenaires traînent leurs désillusions dans l’alcool. Joey subit gentiment sa vie. Résigné, il pense pouvoir en modifier le cours par des rituels superstitieux, c’est tout dire. Tonio prend sa revanche sur la société au volant de sa voiture le samedi soir et façonne, sans grandes illusions, des sculptures avec des matériaux de récupération le dimanche. Quentin s’investit davantage dans l’art et la manière de foutre en l’air sa vie de couple que dans sa recherche d’emploi. De toutes les manières, ce qu’il veut faire, c’est de la guitare. Vaste programme.
Trois copains, autant de parcours et la violence des désillusions qui assure lentement son office. Le temps fait son effet et les conditions de travail qui pouvaient paraître acceptables à vingt ans deviennent insupportables à trente. Certains ont commencé à construire une famille, mais les fondations semblent des plus précaires et le poids des responsabilités bien lourd à porter. D’autres se rendent compte qu’ils n’ont rien bâti et que cette situation est bien partie pour durer. Les restes de rêves fournissent leur lot de frustrations et les idéaux de la folle jeunesse sont envolés depuis belle lurette. Alors, pour lutter contre cette perte de toute estime de soi, voire ce dégout, il y a l’alcool. C’est presque inconsciemment, pernicieusement, qu’il s’est imposé, ce compagnon des fêtes devenu au fil des années un moyen de déconnecter de la réalité. Cache-misère, il offre pour les uns le confortable oubli de soi, pour les autres une puissance illusoire mais tellement jouissive. Quand la sensation l’emporte sur la raison, quand l’effet de groupe joue à plein et quand plus rien ne vous retient, alors pourquoi ne pas vivre pleinement ces instants. C’est vrai, pourquoi pas, alors qu’à la maison il y a femmes et enfants…
Le trait relativement dépouillé de Benoît Perroud va à l’essentiel et n’est pas sans faire penser au travail de Ludovic Debeurne, en moins ésotérique dans l'absolu, mais assez proche de Lucille tout de même, avec quelques flirts avec le symbolisme. Ce dernier point n’est d’ailleurs sans doute pas ce qui est le mieux réussi dans cet album : était-ce bien nécessaire ? Parce que pour le reste, l’auteur réalise véritable un tour de force : son récit est construit avec beaucoup d’intelligence et solidement ancré dans la réalité. Il sait pertinemment où il amène son lecteur.
S’il est indéniable que le contenu de Grigridédé se révèle d’utilité publique par les thèmes abordés et la justesse de son propos, il convient de noter que ce n’est pas là la seule de ses qualités : l’histoire racontée est très forte, sans concessions, et remarquablement narrée.
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