A
u propre comme au figuré, Joe Matt est un sacré branleur. Irrépressiblement attiré par le sexe opposé, du moment qu’il ne s’agisse pas de Trish, sa compagne, c’est un véritable calvaire qu’il subit à son corps défendant… De là à expliquer le pourquoi du comment, il y a un monde qu’il ne parvient manifestement pas à franchir et qui a tendance à lui bousiller le cerveau. Incapable de la moindre action corrective post éclair d’objectivité, il n’a de cesse de bassiner ses deux acolytes, Seth et Chester Brown, à propos de ses malheurs. Histoire que le tableau soit complet, il convient de noter que c’est un radin au caractère irascible et d’une mauvaise foi peu commune. C’est tout du moins ainsi qu’il se décrit.
Il faut reconnaitre à Joe Matt une certaine constance pour s’apitoyer sur son sort sans pour autant tenter quoi que ce soi pour évoluer. Risquer de se remettre en question, il n’en est pas question une seconde ! Un peu pénible le garçon. A n’en point douter, il est de ceux qui pourraient reprendre à gorge déployée l’hymne des Olivensteins dédié à la question : Fier de ne rien faire. De là à le suspecter de se complaire dans son malheur... D’ailleurs il ne dupe pas grand monde. Trish en a littéralement ras le bol, malgré une petite tendance maso, quant à ses deux amis, ça semble faire un bail qu’ils ont intégré le syndrome « mattien » et pris le parti d’en rire, domaine dans lequel ils s’en donnent à cœur joie. Il faut admettre que leur position est plus enviable que celle de la belle et douce qui partage la vie de l’animal ! L’occasion pour le lecteur européen de mettre une possibilité de visage sur les sieurs Seth et Chester Brown (Je ne t’ai jamais aimé, Le playboy, …), les amateurs éclairés s’amuseront de noter que le premier, avec ses airs de dandy apparaît en totale osmose avec le monde développé dans ses publications (Le commis voyageur, La vie est belle malgré tout et Wimbledon green).
Certes, Le pauvre type n’est autre qu’une réédition de Peep show publié en 2001 par les Humanoïdes Associés dans la collection Tohu Bohu, première version française de The poor bastard édité par Drawn & Quarterly en 1996. Il faut cependant noter que la traduction a ici été intégralement revue et fluidifie de manière bienvenue les dialogues qui ont une importance non négligeable dans les albums de Joe Matt. Réalisé après le très underground Strip tease qui regroupe une série d’histoires courtes et pour lequel l’auteur s’était adonné aux joies de l’expérimentation graphique, Le pauvre type témoigne d’une maturité acquise, le dessin s’étant stabilisé et le propos organisé. Si le fond reste sensiblement identique, le trait s’est débarrassé d’une certaine densité un rien oppressante et d’une nervosité parfois trop lâchée. Les personnages ne perdent pas de leur expressivité pour autant, au contraire, en se concentrant sur ce qui compte, à l’instar de ce qui se fait dans la caricature, le dessinateur en retient le meilleur pour aller à l’essentiel. Pas une case où le « héros » (uh uh uh) n’arbore un faciès identique. Jubilatoire !
Alors, pour savoir si la maxime « Branleur un jour, branleur toujours », véritable leitmotiv de cet album, va se réaliser, il vous faudra lire du même Joe Matt Epuisé. Rien qu’au titre, il conserve toutes ses chances ! La lutte continue…
Tout simplement excellent. Joe Matt met sa pitoyable vie en image sans aucun
tabou, et on prend un malin plaisir à suivre les tribulations maniaco-sexuelles
d'un loser assumé, pingre, grincheux, pleurnichard, insuportable, obsédé
sexuel, voyeur, obsessionel... c'est très bien fait, à peine a-t-on fini une page
qu'on veut absolument connaître la suite, on est très facilement pris par ce
personnage assez hors du commun. On sent qu'il y a eu au sein de chaque
chapitre une volonté de "travailler" ces souvenirs, d'y mettre de l'ordre, de ne
pas simplement aligner des évènements les uns à la suite des autres.
Les graphismes quant à eux, bien que simples, sont un régal de lisibilité et de
noir et blanc maîtrisé, avec des expressions faciales savammant exacerbées.
L'auteur a beau donner l'impression de se reposer sur ses aquis, on ne lui en
demande pas plus. Le découpage systématique en planches 6 cases et la
tendance à garder toujours le même type de cadrage et les mêmes angles de
vue tout au long de l'album donnent à l'ensemble un côté feuilletonesque et
une apparente cohérence, en plus d'accentuer l'aspect dessin animé (ou view-
master pour reprendre un objet cher à l'auteur). En bonus on a également le
droit à l'apparition régulière de auteurs Chester Brown et Seth, les deux
meilleurs amis de Joe.
En somme Le Pauvre Type est un exercice d'autobiographie cru et sans tabou
très réussit, une lecture hautement jouissive à ne pas manquer.