L
’univers de Dave Cooper est déjanté, il n’est qu’à parcourir les pages de Suckle et de Crumple, les deux premiers épisodes de sa trilogie, pour s’en convaincre (Ripple étant paru aux éditions du Seuil en 2005). Le dessin, le texte interrogent violemment le sexe, la folie, les croyances primitives, la paranoïa urbaine, l’usage des corps ainsi que l’incommunicabilité entre les hommes et les femmes.
Suckle conte ainsi la genèse de Basil, corps expulsé de l’alma mater, dans un environnement hostile, mi futuriste, mi post-apocalyptique. Basil naît, survit, explore. Le personnage, confondant de naïveté, est ignorant de toute chose. Il découvre les vestiges d’une statue, celle de l’auteur, à l’utilité douteuse. Celle-ci semble investie d’une entité sombre, sans doute le mauvais esprit de Dave Cooper à moins qu’il ne s’agisse d’un démon tentateur, celui de l’éveil à l’altérité, à la sexualité. De cette relecture freudienne du Candide de Voltaire, on retiendra le symbolisme sexuellement chargé de l’œuvre. De ce point de vue, le paroxysme sera atteint lorsque Basil expérimentera la béatitude et touchera au septième ciel auprès d’une grande prêtresse de l’amour figurant tant la traînée, la sainte, que la mère nourricière auprès de laquelle il faut venir s’abreuver*.
Crumple fait un peu pâle figure à côté des excès dégoulinants de son prédécesseur. Les apparences sont trompeuses, le thème est bien le même : l’origine du monde tendance Courbet et les mystères de la chair ! Sauf qu’une secte d’extra-terrestres et de lesbiennes tatouées voudrait en priver la gent masculine, certes bien peu à son avantage. Sus à la parthénogénèse ! Encore faudrait-il sans doute plus qu’un duo d’éjaculateurs précoces tentant d’intégrer l’industrie du porno pour éviter le pire. Mais n'est-ce donc pas mérité face à tant de machisme et de lubricité ? Après tout, les hommes sont des porcs.
Graphiquement, le trait est assurément crumbien : même grain, même crudité, mêmes corps callipyges agglutinés et des planches muettes générant d’elles-mêmes leur propre sous texte. Le réalisme saisissant de la description de cet univers imaginaire fait le reste. Si l’on parcourt relativement interloqué les méandres de l’esprit de Dave Cooper, l’on s’y sent pourtant un peu chez soi. Il émane de ce dessin crade et poisseux une sensation sécurisante, presque familière, celle d'un sein maternel contre lequel se lover...
Objet littéraire non identifié, Suckle était tout prêt à rejoindre une collection Outsider qui n'a jamais si bien mérité son nom !
* [Suckle] se traduit par "allaiter" ou "téter"...et l'auteur semble particulièrement obsédé par tout ce qui se rapporte à la succion...
Là encore, je dirai que ce n'est pas ma tasse de thé. Le graphisme passe encore mais c'est le sens de ce récit qui part dans tous les sens et qui n'est surtout pas très sain d'esprit. C'est peuplé d'êtres bizarres et difformes qui dégoulinent comme des masses gluantes. C'est assez chaotique. Il n'y aura par exemple pas de scénario. Il faut le savoir.
Pour résumer: nous avons une belle bande d'obsédés sexuels. Il faut être un peu passionné par le sujet. Mais attention: on ne fera pas dans la grâce ou la beauté même du geste. Cela dégouline jusqu'à l'excès. Moi personnellement, je ne serai pas le lecteur qui rentre dans cette folie. Tout le monde peut faire des choix et les assumer.
Une oeuvre que je qualifierai de très visqueuse et dans tous les sens du terme.