A
rmand est hospitalisé dans un état critique. Ce vieil homme vient de subir une attaque cérébrale. Autour de lui, les réactions de ses proches sont différentes : sa sœur Rose, liée avec lui par une profonde complicité, souhaite l'unité de la famille face à cet événement. Ce qui est loin d'être le cas de son fils Grégoire qui le déteste et ne l'a pas vu depuis vingt-cinq ans. Il faut dire qu'il n'a jamais supporté le passé de son père qui, durant la Seconde Guerre mondiale, a fait partie des Waffen SS et a commis des horreurs sur le front de l'Est. Enfin, Simon, son petit-fils, semble également perturbé par ce qui arrive à son « Papi Armand » qu'il vénère.
La collection Ecritures, dont la figure de proue est Jiro Taniguchi accueille des histoires aussi diverses que variées, ayant toutes en commun une certaine liberté de ton et une volonté d'explorer l'âme humaine sous toutes ses formes. Il est tout naturel d'y retrouver La Vie Secrète, ce récit abordant la vie d'une famille perturbée par le retour sur le devant de la scène de vieux démons du passé.
Fredman, qui signe ici son premier album en solo, est plus habitué à illustrer des histoires humoristiques telles que Tous les défauts des mecs, Putain de vacances ou encore Rester jeune à tout prix. Il délaisse ici cette légèreté de ton pour un récit plus intimiste, plus profond, abordant un sujet délicat. Peu de personnages composent cette pièce se déroulant dans une sorte de huis-clos où les sentiments sont amplifiés. Il utilise cet événement tragique comme un catalyseur qui va mettre à jour les rancœurs qui pèsent sur cette famille. La parole ainsi libérée peut alors se révéler aussi bénéfique que dévastatrice. Fredman joue avec les cauchemars de Simon et surtout ceux de Grégoire pour rappeler ce passé si dérangeant qui va prendre une place grandissante jusqu'à envahir de quotidien des personnages. Il a imaginé un récit d'une grande densité où les dialogues occupent une place prépondérante comme pour mieux expliquer les tensions intérieures des uns et des autres.
Le changement de style par rapport à ses précédents albums est flagrant, et n'est pas seulement dû au choix du noir et blanc, et aux nuances de gris intégrées pour renforcer le dessin. Le trait, fort et hachuré, s'attarde sur les personnages, leurs émotions dans de nombreux jeux d'ombres. Cette apparente dureté autorise pourtant, à l'occasion, une certaine douceur, mettant ainsi en valeur l'unité de cette famille malgré les tensions existantes. A noter qu'il manque certains repères graphiques, habituellement symbolisés par un changement de couleurs, pour bien différencier la réalité des périodes de cauchemars. Une absence qui nuit un peu à la lecture de l'ensemble.
Riche en dialogues, abordant un sujet délicat, La Vie Secrète est, dans l'ensemble, plutôt réussie même si sa découverte est parfois exigeante pour le lecteur. L'album fait apparaître cependant des lourdeurs qui brouillent le propos et laissent une impression confuse. Cette première partie aurait pu se suffire à elle même, mais il est difficile en l'absence de pistes claires de savoir quelle direction va prendre l'auteur pour le second volet.
Trois générations représentant chacune trois états de la vie, se cherchent et se déchirent en essayant d'exister.
Le passé est représenté par Armand, un vieil homme qui est plongé dans le coma et qui attend sa fin prochaine. Le présent, c'est son fils Grégoire qui a rompu les liens avec lui depuis 25 ans et qui cherche une issue à sa vie. Le futur est l'image de Simon, le fils de Grégoire qui est très lié à son grand-père, à la recherche du bonheur et naviguant entre ces adultes tourmentés.
La mort imminente d'Armand oblige Grégoire à se pencher sur le passé de son père... celui d'un français engagé volontaire dans les Waffen SS ayant participé aux massacres sur le front de l'Est en Ukraine suite à la défaite de Stalingrad où les nazis ont appliqué la politique de la terre brûlée.
L'auteur nous livre une histoire dramatique qui nous prend aux tripes avec des personnages attachants. Fredman n'est pas très connu du public sauf pour des bd de supermarché de type "comment supporter sa famille"...
On peut dire qu'il change brillamment de registre. Le dessin en noir et blanc tout en finesse renforce le caractère intimiste de ce récit. La narration est très originale et dynamique.
Grégoire a construit un drôle de monde affectivement autarcique qui s'est transformé en labyrinthe mental dans lequel il a fini par s'égarer. Il a perdu l'amour de Juliette, la mère de son enfant, sans doute effrayé par le puit de son égoïste douleur qu'il cultive avec obstination tel une pauvre errance étriquée de dandy dépressif.
C'est un véritable voyage tout en profondeur dans les boyaux de l'humanité pour y ressentir peut-être une odeur d'inhumanité. Loin du politiquement correct, on plonge dans les états d'âme d'un bourreau comme pour y expurger quelque chose qui restera à définir dans un second tome concluant ce diptyque. A découvrir !