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incus Pleatnick est invisible ou plutôt il a choisi de l’être par commodité. Il pratique la stratégie de l’évitement, du louvoiement. Petit déjà, il cherchait à se réfugier là où il serait à l’abri des dangers imprévisibles que génèrent les contacts humains. Un visage de plus au cœur de la multitude, jusqu’à ce qu’il découvre l’annonce de son décès dans la rubrique nécrologique… Comment prouver que l’on est bien vivant quand on a choisi de se faire oublier de tous ? Et ces gens que l’on croise chaque jour, sans les voir, et dont la disparition soudaine n’éveille qu’un trouble passager, un vague haussement d’épaule ? Morris était de ceux-là. Il avait pourtant un don singulier, celui de guérison. Et cet autre ! Simple employé, fonctionnaire lambda. Que sait-on de lui et du ménage à trois un rien pervers qui causa sa perte ?
La ville et sa cohorte d’inconnus, les relations impersonnelles, l’individualisme et les peurs au quotidien, ainsi s’achève le voyage au cœur de New York. Isolé, enfermé dans la cité, l’individu est, au sens premier du terme, un quidam, une personne dont on ignore le nom. Recomposant les quartiers de son enfance, Will Eisner revisite en quelque sorte les théories du sociologue Georg Simmel sur l’anonymat dans les grandes villes, l’ouvrage de s’intituler de manière révélatrice Invisible People dans la version originale. Ici l’indifférence fait lieu de rite de protection quand elle ne confine pas à l’aveuglement. Se protéger de l’autre, de son malheur, c’est éviter de se rappeler sa propre condition, sa fragilité. Croquant les gestes du quotidien, Eisner livre une charge symbolique, empreinte d’humanité et de tendresse. Il offre surtout aussi un grand livre, un tribut à New York ainsi qu'une œuvre salutaire.
>>> Lire la chronique du premier tome de la trilogie, La Ville.
>>> Lire la chronique du deuxième tome de la trilogie, L’Immeuble.
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