Calvin et Hobbes en couleurs ! est le catalogue de l'exposition consacrée à Bill Watterson qui s'est tenue aux Archives de la bande dessinée, à l'Université d'Etat de l'Ohio, du 10 septembre 2001 au 16 janvier 2002. Elle était composée des pages publiées le dimanche, jour où l’espace réservé aux cartoons est plus large. Ce n’est donc pas un album traditionnel, ni même un recueil de strips ou de planches au sens habituel du terme. Là, trois douzaines de planches sont présentées dans leur version « native », avec traces d’adhésifs et de blanc correcteur, et la version colorisée - et francisée - leur répond en vis-à-vis.
L’intérêt ne réside pas dans cette page de droite, mais dans le commentaire rédigé par l’auteur. L’occasion est offerte de lever le voile, non pas sur des secrets de fabrication (le terme serait en décalage avec la modestie et l’humilité dont il fait preuve à chaque instant), mais sur des choix et autres contraintes liés à l’exercice de la publication dans des newspapers. L’occasion de découvrir qu’une partie des cases était systématiquement considérée comme inutile par certains journaux : celles qui servent à lancer le strip qui suit et dont les lecteurs de recueils n’imaginent pas se passer tant elles ont donné lieu à de magistrales illustrations ou à des gags irrésistibles en une seule case.
Replacer un travail dans la perspective d’un exercice quotidien a une autre finalité. On comprend mieux pourquoi ces aventures sont à ce point rythmées par les saisons. Si le turbulent blondinet ne paraît pas grandir, les rendez-vous avec le temps défilent. Au point par exemple de ne plus imaginer un hiver sans bonhomme et boules de neige lancées à tort et à travers (et sur Suzie de préférence) ou un été sans échappées dans les sous-bois ni courses folles en chariot à roulettes. Impayable cadet Spiff et ses atterrissages en catastrophe sur des planètes peuplées de créatures au moins aussi ignobles que la maîtresse ; nourriture improbable et menaçante que vos parents vous obligent à ingurgiter de force ; baby-sitter à poigne de fer ; géniteurs qui croient avoir réponse à tout mais restent coi devant la plus innocente de vos questions,... les occasions de s'esclaffer ne manquent pas. Mais derrière cette armada de gags qui font franchement rire, il y aussi ces respirations champêtres qui font pousser des soupirs d’aise. La planche de la page 73 appartient à cette catégorie : en 19 cases, individuellement signifiante, sans texte, Watterson résume l’été rêvé par tous les garnements du monde. Que leur jeunesse soit fanée ou non. Un must.
En ouverture de ce catalogue, Bill Watterson souligne combien « Calvin et Hobbes fut une expérience merveilleuse, mais (ce) fut une carrière dévorante ». A l'époque, cela fait cinq ans qu’il a remisé planches et personnages. Les comptables auront retenu qu’il a publié 3.160 dessins en dix ans (et vendu 23 millions d’albums dans le monde). Les autres, et les comptables aussi d‘ailleurs, découvriront le discours d’un auteur qui a pris du recul avec son œuvre et n’a pas souhaité courir le risque de faire le strip de trop. Pourtant, on imagine sans mal les sollicitations auxquelles il a dû être soumis, quelles qu’aient été leurs motivations profondes (Watterson revient sur ce qu’il nomme sa « bataille pour empêcher que Calvin et Hobbes ne se transforme en marchandise sous licence »). A croire que les œuvres intelligentes naissent sous la plume d’auteurs qui ne le sont pas moins.
Un livre à réserver avant tout à ceux qui ne se contentent pas des recueils habituels, bien entendu. Mais que celui qui ne se lasse pas de l’intenable gamin au tigre s'en détourne, ce serait surprenant. Quant à ceux qui ne connaissent pas encore ce chef d'œuvre, qu'ils sachent que tous ceux qui le connaissent sur le bout des doigts paieraient cher pour revivre l’instant de cette découverte. Au point d’acheter tout ce que les éditeurs pourront leur proposer en termes d’éditions multiples et variées ? A voir…
Poster un avis sur cet album