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ierre est sur le bateau qui le mène vers Enez-Neizh où son amie Catherine a été envoyée pour trois mois en qualité d’ornithologue. Ils devaient passer la journée et la nuit ensemble avant qu’il ne regagne la capitale, mais à son arrivée, elle lui annonce qu’un imprévu professionnel la retiendra au bureau pour l’après-midi. Peu importe, il en profitera pour flâner sur l’île qui se dépeuple en cette fin de période estivale et faire connaissance avec ses habitants. Les discussions trahissent une certaine tension.
Avec Un après-midi un peu couvert, Philippe Squarzoni quitte son terrain de prédilection, l’engagement politique (Dol, Garduno en temps de paix, Zapata en temps de guerre et Torture blanche), pour celui de la fiction. Mais, comme en toute chose, il s’agit de procéder par étapes, c’est ainsi que les échanges conservent une consonance très « squarzonienne ». Peut-être est-ce lié au contexte assez particulier, avec une population plus ou moins coupée du monde en dehors de la saison touristique - les invasions barbares - , dont les réactions peuvent surprendre le continental qu’incarne en l’occurrence Pierre. Catherine, qui lui balance un gentil « ton pote Sarkozy » au détour d’une discussion, semble pour sa part parfaitement dans son élément dans ce microcosme en retard sur son temps. L’idée de l’auteur est de lever petit à petit le voile sur un drame qui a touché les autochtones et de confronter son personnage principal au ressenti de quelques uns d’entre eux pour, in fine, l’amener à prendre conscience d’une faille dans son existence.
Construit page après page sur la base d’un immuable gaufrier de deux par trois aux tons sépias, il en ressort l’impression de parcourir un album photo d’une époque passée en phase avec certaines idées qu’exprime là l’auteur. Il a cependant du mal à se défaire de ses plans très rapprochés et de ce cadrage documentaire qui fait clairement écho à celui utilisé dans ses ouvrages engagés. Dans le même temps, malgré une volonté manifeste de s’essayer aux séquences silencieuses, il éprouve un besoin quasi-viscéral de revenir au dialogue, ce que le caractère des thèmes abordés ne nécessitait sans doute pas à ce point. Cette gestion un peu maladroite du rythme narratif empêche le côté humain de s’exprimer pleinement, sensation déjà perceptible à la lecture de son récent Les mots de Louise écrit par Alexandre Watson.
La froideur du rendu cadre mal avec le fond de cette histoire qui relève de la nature profonde de l’homme. Philippe Squarzoni peine à se défaire de la narration didactique dans laquelle il excelle. Il manque à ce récit ce petit supplément d'âme de nature à emporter l'adhésion.
Cela fait du bien quelquefois de lire des récits un peu intimistes loin des grandes batailles qui jalonnent le monde et autres histoires à sensation. Nous sommes ici en compagnie de Pierre sur une île bretonne un peu isolé. Lui qui voulait passer une journée avec sa compagne, une ornithologue, c'est raté !
Il va alors parcourir cette petite île par un après-midi maussade et faire des tas de rencontres avec les locaux. La plupart sont vraiment intéressantes. Non pas que cela sonne authentique. C'est plus que cela. On part vraiment sur des réflexions sur le sens de la vie qui donnent à réfléchir. Généralement, je déteste cela car c'est pompeux à souhait. Ici, tout semble couler de source. C'est plutôt salvateur.
Je n'ai pas trop aimé la calligraphie du texte qui ne me semble pas appropriée. Par contre, l'ambiance est très bien rendue graphiquement grâce à cette tonalité bichrome. On suivra avec plaisir cette chronique intimiste le temps d'une évasion sur une île... le temps d'un après-midi même maussade.