L
a solitude ? Tu n’imagines pas à quel point. La peur ? T’es bien en dessous du compte. Pauvre ? L’angoisse de descendre plus bas te tétanise. L’image ? T’en redemandes, mais surtout, tu veux en être. La merde ? A chacun la sienne. Le sexe ? T’es seul dans ta tête. Le rêve ? La vie des autres. La violence ? Fais-moi mal. La vieillesse ? Chacun son tour. Le stupre ? Tu jouis. La morale ? La tienne. La douleur ? T’as encore rien vu. La vulgarité ? Et alors, connard… Voici venu le temps des rires et des chants…
Vous en voulez, vous allez être servi ! Il y a là un arrière goût de Durandur encule tout le monde posant le lecteur en complice, voyeur et consentant, mais la comparaison s’arrête là, le traitement n’ayant strictement rien à voir. Existe-t-il des mots suffisamment forts pour évoquer la déliquescence de notre monde ? Certainement, et pourtant Ivan Brun fait le choix de s’en passer. C’est en image, dialogues compris, qu’il attaque frontalement et crûment ce qui constitue indéniablement son sujet de prédilection depuis qu’il a mis les pieds dans la bande dessinée. Pour ce faire, il retient le trait utilisé pour illustrer Burned Hearts (1), extrait de Lowlife, album d’expérimentation graphique. Choix pertinent, puisque l’apparence rassurante et tranquille de son dessin qui n’est pas sans faire penser, en moins stylisé, à celui tout en courbes d’Arthur de Pins, provoque un contraste des plus dérangeants avec la brutalité du propos. Il se dégage de ces visages poupons, aux caractéristiques simplifiées, une impression troublante qui n'est sans doute pas étrangère à un possible processus d'identification. Le ton paisible des couleurs utilisées renforce cette impression de banalité en décalage total avec le fond. Ite, missa est.
Avec ses histoires courtes, l'auteur développe une vision de nos sociétés contemporaines d’une profonde noirceur. Chaque récit est indépendant, de longueur variable, ce qui donne un album globalement rythmé, ponctué néanmoins de quelques longueurs, et avec quelques planches à case unique qui se suffisent à elle-même. Le découpage est presque aseptisé, un immuable trois par quatre, bien propre sur lui, qui ne dénote pas avec une certaine folie mécanique ambiante. Le contenu est volontairement extrême, mais rarement dénué d’une part de prise dans la réalité. Indifférence et lâcheté, pression hiérarchique et vases communicants, ennui et décadence, mais aussi télé réalité, opium du peuple, body art, … sont passés en revue. Le constat est effectué d’entrée : tout ça est d’un commun. Dans ses descentes aux enfers, Ivan Brun s’échappe parfois de son schéma narratif, pour donner dans un descriptif pas toujours utile qui enlève de la percussion en cassant la fluidité d’ensemble. L’absence de texte concoure au caractère potentiellement universel de cet album, un peu à la manière Jason (Chhht !), Thomas Ott (Cinéma panopticum) ou encore Shaun tan (Là où vont nos pères).
Alors, tous coupables ? Forcément un peu, mais il faut bien que la vie continue… C’est d’ailleurs là tout le sens de No comment.
La couverture m'a attiré incontestablement. Même si le dessin paraît naïf au premier abord, on ne peut pas en dire autant du contenu ! Il s'agit en effet d'une violente critique par l'auteur du genre humain dans ce qu'il a de plus vil. On assiste à la destruction de la planète, à la violence urbaine, aux ravages de la drogue, de la dureté du monde en entreprise face aux réalités économiques. La TV réalité n'échappe pas non plus à ce qui contribue à cette déchéance du monde contemporain.
Bref, les positions de l'auteur sont courageuses dans le sens où elles vont le plus loin possible jusque dans l'extrême afin de marquer les esprits. Ce procédé ne plaire pas à tous les lecteurs, c'est certain ! Certaines histoires muettes sont beaucoup trop longues et on a du mal à les suivre en devinant ce que veulent nous dire les bulles imagées. C'est un peu pénible au niveau de la lecture. Pour le reste, ce n'est pas à mettre en toutes les mains car c'est plutôt noir et sanglant comme lecture.