I
l y a presque mille ans, sous la dynastie des Song, l’empereur mandata un dignitaire au Mont du Dragon-et-du-Tigre pour y rencontrer un maître du Tao capable d’enrayer par ses prières la terrible épidémie qui sévissait alors. Sur le chemin du retour, l’agent impérial libéra par erreur cent huit démons enfermés sous le sol d’un temple. Quelques décennies plus tard, tandis que la corruption sévit chez les hauts fonctionnaires et que les brigands font la loi, plusieurs hommes justes et droits se dressent contre ces abus. Mais leur volonté commune d’assainir le pouvoir les entraîne sur les rudes chemins des hors-la-loi et des exilés. C’est ainsi que Shi-Jin le Dragon-Bleu, Lu-Da le contrôleur, Lin Chong Tête-de-Léopard se rencontrent et se lient d'amitié, en jurant de combattre ceux qui se servent de leur autorité pour spolier les faibles.
Au bord de l’eau ou Suikoden est l’adaptation d’un roman picaresque chinois éponyme, véritable monument de la littérature chinoise, à l’instar du célèbre Voyage en Occident. Transmise oralement, enrichie et élaborée à partir du XIIème siècle, cette histoire comportant de nombreux chapitres – entre soixante-dix et cent vingt selon les variantes - a largement inspiré cinéastes, auteurs et même des peintres aussi connus qu’Hokusai. Féru d’histoire et possédant une grande connaissance des classiques, Mitsuteru Yokoyama, méconnu en France bien qu’il soit un des grands noms du manga, contemporain d’Osamu Tezuka, s’est naturellement lancé dans une version en bande dessinée de cette œuvre-phare, à la fin des années soixante.
Tribulations en tous genres et combats épiques sont au programme de cette série en huit tomes, dont le premier volume fait entrer de plain-pied dans une aventure homérique, riche en rebondissements et en enseignements. Après un premier chapitre de présentation racontant comment les cent huit démons ont été relâchés, le lecteur suit les destins croisés des héros de cette fresque, à commencer par celui de Shi-Jin, expert en arts martiaux, qui est la figure centrale reliant les preux les uns aux autres. Et si ces braves ainsi que les méchants qui les poursuivent sont quelquefois caricaturaux, rendant le récit un peu simpliste, on ne s’ennuie à aucun moment, tant les évènements s’enchaînent sur un rythme soutenu et attisent l’intérêt. Quant au dessin de Mitsuteru Yokoyama, il rappelle incontestablement celui de Tezuka. Son trait fluide et arrondi évoque les cartoons de l’époque. Il en possède également l’aspect vieillot qui pourtant n’ôte rien au dynamisme de l’ensemble.
Cette publication d’Au bord de l’eau est une belle surprise des éditions Delcourt. Il s'agit là d'une histoire de capes et d'épée, efficace et bien remplie, comme on les aime, mais dont le graphisme daté pourra peut-être en rebuter certains.
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