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ille d’exorcistes de réputation mondiale, Aoko est, comme elle se définit elle-même, apprentie mediam. Elle a la capacité de voir les spectres et l’aura, mais pour exceller dans son domaine, elle a encore du chemin à parcourir. Benimaru est un être hybride, mi-humain mi-alien. La race d’extra-terrestres dont il est issu s’est implantée sur Terre dans un but unique : se nourrir. De chair humaine. S’ils "ensemencent" des terriennes, ce n’est pas dans le but de coloniser la planète, ni d’éradiquer ses habitants puisque ce serait la priver de sa fonction de garde-manger. Emancipé par sa mère de ses pulsions et choisissant de privilégier sa part d’humanité, Benimaru a entrepris de la venger en s’opposant à sa lignée et, notamment, à son père. Aoko est témoin de l’affrontement entre les deux créatures…
Eater fait partie des curiosités qui ont un chic particulier pour brasser allégrement les styles et les genres. Ainsi, à une scène de pure comédie digne des récits réservés à un jeune public potache succède une autre, barbare et bestiale, au cours de laquelle les coups pleuvent, les chairs se déchirent et les corps se disloquent. Même si, bien entendu, ce ne sont pas les mêmes personnages qui interviennent, l’alternance surprend plus d’une fois. C’est probablement ce qui distingue cette histoire relativement banale de parasite qui investit les corps, féconde le premier utérus venu et dispose d’une aptitude certaine pour le gore. La jeune fille de 17 ans, candide et gaffeuse au grand cœur, qui choisit de se rapprocher du séduisant humanoïde esseulé mais protecteur de l’humanité pour assouvir une vengeance, est en effet à classer au niveau du vu et re-vu. Ah les bonnes vieilles limaces qui vous rentrent par l’oreille ! Ça fait toujours son petit effet, tout comme les balles en pleine tête, les soldats décérébrés (ceci n’est pas un jugement de valeur) qui servent de chair à canon ou les empoignades musclées et la confusion visuelle qui les accompagne.
Pas à prendre au premier degré évidemment, sinon autant renoncer à ouvrir ce type de livre. Le petit plus en la matière c’est peut-être l’humour auquel l’auteur a recours, probablement pour éviter monotonie et austérité. Et le sourire, chafouin comme chacun le sait, lui, va alors se loger là où on ne l’attend pas forcément, au détour d’une petite note sous une case, comme si l’auteur se méfiait du niveau de jugeote de son lecteur pour souligner un détail (« Evidemment, il s’agit d’une fiction, il n’y a pas de base militaire à Nerima »), ou encore d’une de ces précisions emphatiques et grandiloquentes destinées à imprimer le ton et laisser une empreinte pachydermique dans son esprit. « (…) tout ce que tient ou porte Benimaru devient partie intégrante de son corps, et donc semi-vivant. (…) Les douilles, devenues vivantes, tombent au sol éviscérées, crachant du sang, et se tordant de douleur. ». Un régal ! Dans le genre, pour peu qu’on soit complice ou pris dans le feu de l’action, voilà qui vaut son pesant de cacahouètes.
Du point de vue visuel, la cohabitation est aussi de rigueur. Quelques pages dignes d’un shojo, avec son lot de mimiques et de réactions exagérées typiques croquées sans s’embarrasser de détails, cèdent la place, un peu plus loin, à un massacre de civils par des soldats possédés par les aliens, exécutions sommaires et empalement d’un nourrisson au bout d’une baïonnette à l’appui dans un style aussi précis que réaliste. Pour l’occasion, c’est comme si le style de Mitsuru Adachi côtoyait celui de Masakazu Katsura : Katsu et Zetman sont dans un même bateau, pincez-moi à la découverte du résultat. S’il s’agit de marquer la différence entre les passages de tension dans lesquels les aliens interviennent et ceux où Aoko apporte une touche de fraîcheur et de légèreté, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas de place pour la confusion.
Avec ce premier tome d’Eater, Masatoshi Usune (Desert punk) propose un album à l’image de son héros, hybride. A condition d’aimer les cocktails et de rechercher le frisson visuel plutôt que l’originalité sur le fond, il y a matière à poursuivre l’expérience et à aller plus loin dans cette série achevée en 4 tomes. Si la suite franchit un palier dans l’opposition humains-aliens et que l’attente est raisonnable du côté du lecteur, il y aura peut-être encore matière à s’amuser.
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