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n 1880, Verlaine a 36 ans. C'est le moment du retour dans les Ardennes, à Juniville, en compagnie de Lucien, un de ses anciens élèves. Leur "amitié particulière" avait valu au poète son renvoi de l'Institution Notre-Dame de Rethel et un exil forcé à Londres. Les deux hommes retrouvent un cadre bucolique, propice aux rêveries mais aussi au désœuvrement. Au grand désespoir de sa mère, les mœurs de Verlaine sont vite jugées scandaleuses par le voisinage, peu habitué aux frasques des gens de la ville. L'année 1880, c'est aussi sept années passées après son coup de folie, ou plutôt ses deux coups de révolver tirés en direction d'Arthur Rimbaud. Parti en Afrique, ce dernier continue d'entretenir une relation épistolaire avec son ancien amant, ce qui ne l'aide pas vraiment à trouver apaisement et sérénité, contribuant au contraire à l'enfoncer dans la débauche et l'ivrognerie.
A première vue, le titre de l'album pourrait laisser penser à une biographie complète de l'auteur, depuis ses premiers succès parisiens, jusqu'à sa mort en 1896, complètement ruiné. C'est en fait le sous-titre qui permet d'en apprendre un peu plus sur le scénario original imaginé par Bernard Jagodzinski. Une saison en enfer fut écrit par Rimbaud en 1873, soit l'année de sa rupture tragique avec Verlaine. Le jeune poète y décrit son mal-être à travers ses échecs et ses désillusions. Deux années plus tard, à 21 ans, il cessa d'écrire et commença son périple de l'autre côté de la Méditerranée. A lire à ce sujet l'excellent La ligne de fuite.
Ainsi, Verlaine est avant tout l'histoire d'une séparation, celle de deux hommes ayant vécu un amour passionnel. Pourtant, cette relation perdure à travers les récits de voyage que Rimbaud envoie régulièrement dans les Ardennes. Ces quelques écrits, agrémentés de croquis pris sur le vif, trouvent parfaitement leur place et aident à entrevoir le lien infrangible unissant les deux poètes. De même, l'auteur revient l'espace de quelques pages sur leur aventure, brève et dramatique, à travers l'un des nombreux délires éthyliques de Verlaine. Les ravages de la fée verte contribueront à détruire à petit feu son esprit malade.
L'album est aussi l'histoire de nombreuses rencontres. Celle avec Lucien Létinois tout d'abord, mort prématurément de la typhoïde en 1883, que l'écrivain considérait comme son fils adoptif. Mais aussi celle, brutale, de deux mondes antinomiques. La vie de bohème et de libertin était, à l'époque, peu compatible avec le quotidien de villageois perdus au fin fond de l'est de la France. Ce contraste, drôle par moments, plus touchants à d'autres, est très bien mis en valeur par Jagodzinski qui alterne, dans un savant mélange, humour et gravité. Le tableau ne serait pas complet sans la mère de Verlaine qui joue un rôle prépondérant dans ce récit d'une centaine de pages. Présentée comme une mégère acariâtre mais aussi comme une moralisatrice très maternelle, elle sera bien involontairement à l'origine du retour du poète à Paris, en 1885.
Respectivement dessinateur et coloriste de Baudelaire chez le même éditeur, Daniel Casanave et Patrice Larcenet récidivent dans un registre similaire. Le grand format à l'italienne des Rêveurs restreint le nombre de cases par page mais les rend, en revanche, beaucoup plus larges. Idéal pour les décors champêtres, les vues d'ensemble de petits villages pittoresques mais aussi pour les paysages, plus exotiques, de la savane africaine. L'auteur a imaginé un personnage de Verlaine à l'air débonnaire et facétieux, assez éloigné de l'image que l'on pouvait s'en faire. Si ce parti pris surprend au début, il ne gêne en rien la lecture et évite peut-être de tomber dans un récit trop descriptif, voire rébarbatif. Quant à Patrice Larcenet, il utilise avec bonheur sa palette de couleurs, mêlant adroitement le vert et le bleu des champs ensoleillés, l'ocre et le marron pour les "cartes postales" venues d'Aden, un gris poisseux pour entourer le drame survenu à Bruxelles en 1873.
Une postface de Franz Bertelt, auteur de "Suite à Verlaine", clôt de la meilleure des façons un ouvrage globalement très réussi. Nullement réservé aux fans du poète ou aux nostalgiques du mouvement parnassien, il saura séduire tous ceux qui veulent en savoir un peu plus, non seulement sur la relation passionnelle qui l'unit à Rimbaud, mais aussi sur le charme très particulier de l'arrière-pays ardennais de la fin du XIXe siècle.
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