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uoi de plus excitant pour un collectionneur chevronné que de posséder des documents rarissimes qui lui permettent de reconstituer une page d’Histoire et de raconter le déroulement d’un évènement à sa façon, avec passion ? L’un d’entre eux, Limul Goma, propose de remettre en scène la cauchemardesque exécution de Robert François Damiens, accusé de régicide sur la personne de Louis XV, et condamné à l’écartèlement.
L’histoire commence à Paris, en 1757, sur une place parisienne. La foule est dense, qui vient assister à l’application de la sentence. Peu de temps après le début des opérations, le jeune Charles-Henri Sanson se voit dans l’obligation de prendre le relais de son oncle, exécuteur officiel des Hautes Œuvres, pris de malaise. Damiens s’avère très résistant. Le supplice devient interminable et le "spectacle" vire au gore.
Mais au siècle des Lumières, les mœurs sont libertines, la débauche courante, la prostitution autorisée. Certains se détournent de cette mise à mort qui n’en finit pas pour aller s’adonner aux plaisirs de la chair. Quelques-uns trouvent, dans l’évènement, l’occasion de donner un écho à la voix du peuple. D’autres philosophent et s’interrogent sur la nécessité de faire subir de telles souffrances à un être humain, et sur le bien-fondé du principe de l’inégalité de traitement des condamnés selon leur rang ou la nature de l’agression qu’ils ont commise. La judicieuse insertion, parmi eux, du Marquis de Sade, de Jeanne Ranson, future comtesse du Barry, mais aussi d’un certain Joseph Ignace Guillotin, permet de faire diversion et sert de support à l’introduction d’informations sur le contexte et l’époque.
Le rythme est enlevé, la construction subtile. L’utilisation astucieuse de plusieurs narrateurs facilite la distinction des scènes et imprime une grande vivacité au récit. Le trait est fin, précis, très expressif, le ton léger et délié, l’humour présent - jusque dans la signature de l’auteur et l’écriture des annotations « en vigueur » - parfois empreint d’un zeste de cynisme ou d’ironie. L’alchimie entre l’image et le texte opère parfaitement. La souffrance du supplicié, le calvaire du bourreau, l’épuisement des chevaux, les états d’âmes émanant de la foule sont finement restitués. Au même titre que le plaisir qu’éprouve le collectionneur à posséder et à informer, ou d’autres protagonistes à dialoguer sur un ton primesautier.
Si quelques menus reproches pouvaient être adressés à Simon Hureau après lecture de Tout doit disparaître, sa précédente production, les Hautes Œuvres, Petit traité d’humanisme à la Française impressionne par la cohérence et le niveau de qualité qui émanent de l’ensemble. Choisir de traiter, en s’appuyant sur des faits historiques, un sujet mêlant, au sein d’un même album, une description détaillée d’un écartèlement et la restitution d’une ambiance festive et libertine, sans que la fluidité de la narration puisse en souffrir, relevait du pur exercice de style. Le résultat, plus que convaincant, brillant, hisse l’ouvrage au rang d’indispensable !
Ce petit traité d'humanisme à la française nous montre les bienfaits de la société parisienne du XVIII ème siècle. Depuis Ravaillac en 1610, jamais individu n’avait osé attenter à la personne sacrée du Roi. En 1757, alors que Louis XV sort du Château, un homme se précipite et lui porte un coup au flanc. Il s’appelle Robert-François Damiens. Il va subir les conséquences de cette tentative de régicide car Louis XV s'en tirera avec quelques égratignures.
On ne saura rien sur les motivations de cet homme ce qui aurait mérité un développement. Non, on va plutôt vivre une lente agonie liée à son supplice sur la place publique. Il sera écartelé et brûlé car il s'est rendu coupable du crime suprême : celui de lèse-majesté. La journée sera rude. Une foule immense assiste à ce spectacle, les balcons des maisons de la place de Grève sont loués jusqu'à 100 livres. Alors que des femmes du grand monde croient se faire bien voir du roi en trouvant plaisant le spectacle, la foule gronde car les exécuteurs, horrifiés, n'ont réussi leur œuvre qu'au bout de soixante reprises !
Cela nous montre également les méthodes de l'ancien régime. Celles du nouveau régime ne seront guère meilleures...
Un album d'exception qui s'attache à nous décrire, à travers l'exécution de
Robert François Damiens (auteur d'une tentative d'assassinat sur la personne
du roi), la société parisienne du XVIIIe siècle. L'album s'articulera donc ainsi :
le calvaire du suplicié comme fil rouge (et aucun détail morbide ne nous est
épargné), avec autour une ribambelle de rôles secondaires sur qui l'auteur se
fixe de temps en temps : deux lettrés qui discutent, un couple fraîchement
constitué, un père et son fils... et un personnage central que l'on trouve en la
personne de Sanson, bourreau du roi qui exécute ici son premier condamné.
Chacun de ces personnages raconte sa propre version de l'évènement, avec
pour narateur principal Limul Goma, collectioneur chevroné du XXe siècle (du
moins semble-t-il).
On a ainsi une construction intelligente et recherchée du récit qui instaure un
rythme des plus prenant.
Le tout est porté par un trait réjouissant, à la fois clair, libre et fouillis.
L'utilisation de dialogues "modernes" n'hésitant pas à pencher vers
l'anachronisme volontaire sonne quant à elle toujours juste, et la volonté de
semer ici ou là des éléments et des personnages historiques est un atout
supplémentaire.
En somme Hautes Oeuvres est un album brillant, agréable à lire et vraiment
réjouissant. Un seule regret : trop court!