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la mort de son père, Maxwell Roth découvre la passion de ce dernier pour l’Artiste de l’évasion, super-héros méconnu de l’âge d’or, créé par Joe Kavalier & Sam Clay. Fasciné par ce personnage, qui le raccroche au souvenir de son père, Max dilapide son héritage et rachète les droits de la série. Bientôt rejoint par Case Weaver, une dessinatrice sans le sou, et Denny Jones, un ancien footballeur passant l’essentiel de son temps à recopier inlassablement de grands classiques de la littérature, il se lance dans un projet fou : réaliser les nouvelles aventures de son héros. Le succès inespéré du premier numéro va réveiller l’appétit vorace d’une major de l’édition prête à tout pour récupérer la licence. Une bataille juridique s’engage et Max réalise que l’imagination et la volonté ne suffisent pas à payer les factures…
S’inspirant librement du roman de Michael Chabon - Les extraordinaires aventures de Kavalier & Klay (Prix Pulitzer Fiction 2001)-, Bryan K. Vaughan (Pride of Baghdad, Y le dernier homme…) délivre une belle histoire sur l’amitié, la bande dessinée et la créativité. Les personnages sont touchants et l’on se plaît à s’imaginer à leur place. A la fois drôle, captivant, intelligent et sensible, Les Maîtres de l’évasion se présente aussi comme une œuvre à tiroirs, un méta récit résolument postmoderne, mêlant la recherche documentaire au romanesque, la réalité à la fiction.
Le scénariste enchaîne les mises en abîmes pour mieux discourir sur les comics, à la fois comme objet littéraire et moteur de fiction. Il interroge de la sorte l’histoire et les racines de la bande dessinée américaine. A l’instar du roman où les personnages de Klay et Kavalier s’inspiraient ouvertement des créateurs de Superman, Jerry Siegel et Joe Shuster, Vaughan évoque incidemment, par l’entremise de Max, la présence et l’influence de nombreux auteurs juifs dans la bande dessinée de l’entre-deux guerres. Si les super-héros incarnaient une réponse rassurante à la montée des fascismes comme au marasme engendré par la crise de 1929, leur apparition paraît étroitement liée aux mécanismes d’intégration de la seconde génération d’immigrés juifs mais aussi aux aspirations et à la tradition de ces derniers. La réflexion se porte aussi sur la double-identité de ces surhommes avec, en miroir, un alter ego faible et ordinaire, renvoyant tout à la fois à la figure de l’émigré à la recherche d’un asile, qu’à celle de l’adolescent en quête d’évasion et mal dans sa peau. Le super-héros, le justicier, donne du pouvoir à ceux qui n’en ont pas. Au-delà, l’album explore les rouages de l’industrie du comic-book et ses versants obscurs, au travers la question du droit d’auteur et de la liberté de la création. Mais plus qu’une simple réflexion, une fable sur le neuvième art, Les Maîtres de l’évasion s’impose, aux côtés de Hicksville ou De mal en pis, comme un hymne vibrant, une poignante déclaration d'amour, rendus à la bande dessinée.
La construction est inventive et use de toutes les possibilités narratives, discursives et expressives du medium. Vaughan multiplie ainsi les points de vue et entremêle les tribulations du trio aux péripéties de The Escapist ; lesquelles, par un effet de symétrie, un lointain écho, semblent s’en ressentir. Les univers sont pourtant bien distincts et confiés à un dessinateur différent. Si Eduardo Barretto se charge avec talent de la partie golden-age toute en quadrichromie, les pages consacrées à Max, Case et Denny, sont assurées par Philip Bond pour le premier épisode puis par Steve Rolston. Leur dessin semi-réaliste, à la fois simple et très rond, souffre de la comparaison avec les superbes planches signées Jason Alexander, faisant place à l’Artiste de l’évasion, rappelant les productions adultes du label Vertigo. Mais n’est-ce pas à dessein ? La réalité ne paraît-elle pas plus fade ? N’est-ce pas là souligner une fois encore les possibilités infinies de l’esprit et de l’imagination ? Chacun porte en soi ce don, cette faculté de s’illustrer comme un Artiste de l’évasion.
C'est un titre très ambitieux qui se propose de réhabiliter un vieux super-héros tombé dans l'oubli depuis quelques décennies. Il est question de revisiter le monde du comics en s'inspirant des plus grands comme Eisner, Jack Kirby ou Stan Lee. On entre dans les coulisses du monde des comics de la création d'une oeuvre à son exploitation.
J'ai bien aimé le déroulement de ce récit mais un peu moins la conclusion ainsi que l'inégalité dans la partie graphique. On retiendra néanmoins que c'est une brillante mise en scène. On regrettera juste que le super-héros n'est qu'un prétexte à une autre histoire plus intime et plus personnelle avec pour cadre l'impitoyable monde de l'édition. On ne retiendra pas grand chose de ces maîtres de l'évasion car ce n'était pas le thème malgré le titre.
Une oeuvre qui se concentre sur une mise en abîme assez magistrale. C'est également un bel hommage aux vieux comics et surtout à la création et à l'imagination.