L
a Communauté, ce n’est pas ce que l’on croit. Pas une bande de hippies qui se laissent vivre en laissant passer les journées à contempler les fleurs avant de se les accrocher dans les cheveux. Les membres ne passent pas non plus leur temps à pédaler dans les nuages sous l’effet de substances illicites. Il y a du travail pour tous. Le principe du partage et de la mise en commun s'arrête aux portes des chambres à coucher, et chacun sait reconnaitre ses propres enfants. La Communauté, c’est un groupe qui a choisi de vivre son idéal, qui n’est pas celui de tout un chacun en ce début des années 70.
La Communauté, ce n’est pas non plus le livre qu’on pourrait redouter. A une période où l’on nous gave de commémorations soixante-huitardes, parfois sincères et ayant valeur de témoignage historique, souvent pour véhiculer une nostalgie élimée quand elle n’est pas fantasmée par des auteurs qui réécrivent opportunément les souvenirs de ceux qui l’ont vécue, l’album de Benoit et Tanquerelle, c’est autre chose. Bien sûr les protagonistes ont participé aux « évènements » et le récit s’ouvre un peu avant cette période et relate leur engagement dans les manifestations. Mais ils sont allés plus loin, pour réaliser leur rêve. Celui de tourner le dos à la société de consommation pour vivre en autarcie, ou presque, en exerçant une activité de sérigraphie, de très petite entreprise soit, mais qui permettait d’apporter des revenus nécessaires à la vie du groupe. Celui-ci n’est pas replié sur lui-même mais au contraire très ouvert sur la population, de type « rural profond », auprès de laquelle ils se sont enrichis, essentiellement en termes de techniques culturales et d’élevage. Quant à changer la société en introduisant leur façon de voir en commençant par l’échelon le plus proche, celui de la commune, il était à la fois raisonnable et inaccessible.
La Communauté, ce n’est pas non plus un recueil d’entretiens platement illustré. C’est un bouquin drôlement malin dans lequel Hervé Tanquerelle (Professeur Bell, Le legs de l’alchimiste, Lucha libre) s’amuse à varier les formats et les styles. Les personnages qui jouent à rassembler des souvenirs (son beau-père et lui-même) prennent souvent place dans le décor où évoluent les occupants de l’ancienne minoterie. Tantôt petites souris qui se glissent partout, tantôt géants qui toisent ces anciens citadins qui s’essaient aux métiers du bâtiment et de la terre, ils disposent de tout le recul que leur confèrent, pour l’un, la distance des années passées, pour l’autre, l’œil neuf du candide. A des lieues de l’idée qu’on peut se faire de la mise en image d’un dialogue, le résultat est alerte et vivifiant au point que le livre se lit d’une traite.
C’est bien l’absence de vernis, l’objectivité de tous les instants, la volonté de ne pas accorder une dimension que cette expérience n’a pas, qui concourent à faire de cette première partie un moment rafraîchissant et instructif. Sans être nécessairement enclin à regretter de ne pas avoir connu une expérience de ce type, cette histoire d’un véritable retour à la terre et de choix de vie fait un bien fou.
Pour qui s'intéresse à ce sujet, c'est du très bon travail. Le dessin est parfait, créatif, dynamique et l'auteur s'en donne à coeur joie, pour nous faire garder l'esprit alerte à coup de petites combines graphiques toujours bienvenues. L'intérêt ne baisse bas pour les deux tomes, les approches thématiques varient sans jamais lasser le petit curieux que je suis. un belle tranche des vies explorée tout en finesse et intelligence, du tout bon ! Indispensable je vous dis !