S
éduit par sa démarche pour Greffier (Delcourt) où il relatait et commentait les débats du procès mettant en cause Charlie hebdo pour la reprise de caricatures de Mahomet, Gilles Jacob a proposé à Joann Sfar de suivre le déroulement du 60ème festival de Cannes (16-27 mai 2007). Jouissant d’une liberté d’accès aux coulisses, feuillets en main, à lui de proposer sa vision de l’évènement.
En complément de ce témoignage, des informations à propos d’autres projets, le regard d’un père et surtout les premières pages d’un carnet, ô combien prometteur, mais abandonné.
L’année 2007 avait été particulièrement riche pour les amateurs des Carnet de Joann Sfar avec trois publications et un total de 900 pages de lecture. Outre l’affaire Charlie hebdo qui se révélait un précieux témoignage pris sur le vif à propos de la liberté d’expression, Missionnaire et Maharajah proposaient un habile cocktail entre récit de voyage, réflexions sur la création, et le dessin en particulier, et divers sujets, d’actualité ou non, qui constituent les centres d’intérêts de l’auteur. L’habitué était en terres connues, heureux comme un poisson dans l’eau. Et s’il connaissait déjà une large partie des notes prises lors d’un voyage au Japon déjà diffusées sur le site du prolifique dessinateur et qui constituent la moitié de Missionnaire, il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même et à la curiosité jamais satisfaite qui le pousse à fureter sur tous les supports à la recherche d'inédits.
Après ces trois réussites, Croisette paraît bien fade. Joann Sfar a relevé un défi qui avait tout d’une gageure et livre un compte-rendu où l’impression d’être mal à l’aise, ou plus précisément pas à sa place, est prégnante. De ce point de vue, le but est pleinement atteint. A plusieurs reprises, il essaie bien de tirer partie de cette situation en endossant l’habit d’un ours, totalement étranger au microcosme dans lequel il se trouve plongé, et de jouer les Candide. Mais si parfois, par ce biais, quelques sourires naissent parfois, c’est surtout l’ennui qui prédomine. Il ne se révèle pas un grand portraitiste ou caricaturiste, le rôle de béotien qui est le sien n’apporte rien de particulier, notamment aucun sentiment d’identification, tandis que l’envie qui le prend de s’échapper de la Croisette pour retrouver femme et enfants l’espace d’un moment se fait, elle, communicative. C’est au final aussi longuet qu’une soirée pour laquelle on a dû recevoir une invitation par erreur. Le sursaut né de la rencontre avec Jacques Vergès, présent à Cannes parce que Barbet Schroeder lui a consacré un film, tient finalement plus du prétexte pour parler d’autre chose que de cinéma et de son milieu mais ne produit pas plus d’effet. Son appétit d’apprendre les aspects techniques de la réalisation au contact d’un - très petit – nombre d’experts alors qu’il a deux projets « sur le feu » ou le fait que Persepolis, œuvre signée par des proches portée aux nues lors de la quinzaine, ne changent rien.
Alors Croisette sonne-t-il le glas des Carnets ? Donne-t-il l’occasion de mettre en pratique la règle des trois L chère à certains médias ? Lécher, lâcher et lyncher Sfar ? Pensez-vous, car sans qu’elle soit explicitement exposée, la raison de cette faiblesse pourrait bien être révélée peu après les 190 pages cannoises. Là, il commente ses doutes à propos d’une affiche de film qu’on lui demande de réaliser : L’histoire de Richard O. L’exercice de style exposant, le temps d’un été, le frénétique marathon sexuel d’un homme entre deux âges, dixit Le Monde, ne suscite guère l'enthousiasme du père du Pascin publié à l’Association. L’érotisme, la façon d’approcher et de présenter l’acte sont différents et peu compatibles. Les mondes des deux auteurs ne se rejoignent pas et Sfar décline finalement l’offre. Le film devra se contenter d’une photo très évocatrice (et se consolera avec une sélection à la 64ème Mostra de Venise) mais, après la première partie du livre, pour l’auteur de Croisette l’évidence naît : son chouchou est peu disposé, voire même incapable, de travailler « à la commande ».
Les quelques marches descendues d’un Panthéon imaginaire sont d’ailleurs bien vite regagnées en l’espace de 23 pages. Celles qui auraient pu ouvrir un autre Carnet, probablement intitulé Violon. Après l’harmonica, l’ukulélé, la guitare et le banjo, place à l’apprentissage du violon donc. Un air de déjà-vu ? Pas tout à fait puisque l’approche de l’instrument lui évoque irrésistiblement sa découverte du dessin. Et là, la partition est superbe, que ce soit en termes de texte ou de graphisme. Oubliés le manque de saveur de l’ouverture exécutée sans passion, ses visages ni vraiment ressemblants, ni vraiment connus d’ailleurs pour certains d’entre eux. L’écrin fait saliver, le contenu régale et se trouve plus porteur d’espoir pour un prochain rendez-vous que véritablement frustrant. Mais ce sera peut-être après les épisodes Chat du rabbin sur grand écran et après "son" Gainsbourg au cinéma qui ont, de l’aveu de l’auteur, monopolisé plusieurs mois de son temps au détriment de la bande dessinée. Au sujet du dernier projet, Sfar parle de « trois cents pages de story-boards à l’aquarelle et au crayon de couleur et de centaines de dessins (réalisés) pour les décorateurs, costumiers, maquilleurs, marionnettistes. » Y aura-t-il un éditeur prêt à nous les montrer ?
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