"Les auteurs dédient cet album à Saint Louis, son chêne et quelques glands". En une phrase, le ton est donné. Si une tendance actuelle consiste à vouloir porter une majorité d’affaires devant les tribunaux, un prétoire est depuis toujours un lieu privilégié pour observer les vicissitudes et la noirceur de l’âme et de la condition humaine. Pourtant, Lefred-Thouron et Aranega n’optent pas pour ce registre. Point de sordide ou de misérable : faites entrer un cortège de prévenus souvent victimes de leur insondable bêtise. Non, nous n’oublierons pas les victimes, les vraies, mais ce sera plutôt pour les imaginer en train de subir les assauts ou les arnaques de ces crétins d’anthologie et s'en payer une tranche supplémentaire.
Ils valent leur pesant de cacahouètes les satyres, les escrocs à la petite semaine, les ivrognes, les chauffards, et autres maris qui confondent épouse et punching-ball. Certains, en plus d’être multirécidivistes, sont également des « multi-casquettes » du délit ou de l’outrage. Le défilé commence avec Fonebone, patronyme que les fidèles de l’Equipe magazine assimileraient presque à un John Doe du sportif vénal-truqueur-dopé-couillon pour l’avoir croisé des années durant, et ça se poursuit avec donc une kyrielle de glands (autre terme cher à l’auteur, cf. la série des Je suis gland chez Fluide glacial) pas piqués des vers.
A ce gratin de nouilles symbolisant une frange – forcément grasse et mal peignée – de la société, Diego Aranega prête des gueules à l’avenant. Gros tarins, regards torves ou éteints, teint lie de vin étoilé, couperose envahissante, acné et survêt’ obligatoire pour les djeuns tout droit sortis d’une quelconque banlieue, bave aux lèvres caractéristique pour les exhibitionnistes : elle est belle la clientèle des avocats commis d’office. Remarquez, la Cour, juges comme procureurs, en prend aussi pour son grade. Entre formule absconses ou tarabiscotées, une prédilection coupable (si, si) pour une conjugaison et un vocabulaire de rigueur et précis à souhait mais inintelligibles pour le public auquel ils font face, elles mettent le pa(r)quet les magistrales figures chargées d’abattre le glaive de la loi. Les avocats, souvent débutants, se signalent par une gestuelle ô combien caractéristique qui ferait passer le plus zélé des sémaphores pour un pantin arthritique. Quant à leur maladresse, depuis quelques mémorables joutes radiophoniques, on sait qu’ils peuvent convaincre mieux encore que les procureurs de la culpabilité de leurs clients.
Du beau boulot : plus de quatre-vingt dix fois à peu près la même scène et pourtant à chaque fois une attitude, un changement de regard entre deux cases, une bouche qui se relâche ou se crispe, et le sourire né de la lecture des faits, de la plaidoirie ou de la condamnation, gagne en intensité. Tellement mieux qu’un bêtisier des tribunaux, Casiers judiciaires risque d'inspirer au lecteur deux à-peu-près plutôt contradictoires : la relaxe et l'encouragement à la récidive.
Originale que cette idée de passer le monde des tribunaux au peigne fin pour en tirer une satire sociale. Personne n'est vraiment épargné entre les magistrats, les avocats, les plaignants et les accusés. La rigueur qui caractérise la Justice d'un côté et un public qui à peine à comprendre de l'autre. C'est une sorte de bêtisiers des tribunaux.
On a la même scène plus de 80 fois (une scène en 6 cases habituel de la collection "Poisson Pilote") mais avec des situations légèrement différentes dans un décor totalement épuré. A force, on frise un peu l'indigestion de lecture même si les gags et les dialogues sont peaufinés. Un résultat amusant mais qui devrait se limiter à un one-shot.