S
ous le règne de l’empereur Ren-Zong de la dynastie des Song, le pays est ravagé par les épidémies, les inondations et les famines. Dans une ultime tentative pour mettre fin aux pestilences, le souverain décide d’envoyer le Grand Maréchal Hong Xin auprès du Maître Céleste pour qu’il lance les grandes cérémonies de libations, seules capables de mettre un terme aux fléaux qui frappent le royaume. Afin de mener sa mission à bien et de remettre l’édit de l’empereur en mains propres, l’émissaire doit toutefois passer par des épreuves visant à tester sa détermination. En rentrant au monastère, Hong Xin découvre un caveau condamné qu’il décide de desceller. La libération des cent huit rois-démons qui solde ce caprice marquera à jamais la destinée de toute une nation.
En s’ouvrant aux textes fondateurs de l’humanité, la Collection Ex-Libris se place en éclaireur d’un neuvième art qui se consacre aux adaptations littéraires de manière plus prononcée et structurée. C’est la Chine qui ouvre ce bal dédié aux grands récits qui ont influencé les civilisations du monde entier, avec la publication simultanée de deux classiques de la littérature asiatique. Si la légende du Dieu Singe est partiellement connue en Europe à travers le manga Dragon Ball, l’épopée d’Au bord de l’eau l’est beaucoup moins, malgré une adaptation en feuilleton télévisé diffusé sur le petit écran français en 1977 (La Légende des chevaliers aux cent huit étoiles).
Au bord de l’eau (Shui-hu-zhuan, littéralement Le récit des berges) fait partie des quatre chefs-d’œuvre du patrimoine littéraire chinois, avec l'Histoire des Trois royaumes, Le Voyage en Occident et le Rêve dans le Pavillon rouge. Ce roman d’aventure, généralement attribué à Shi Nai'an (XIVe siècle), fut compilé et écrit par plusieurs auteurs après des siècles de transmission orale. A l’instar de l’excellente adaptation de la guerre de Troie dans la série L’âge de Bronze, la difficulté majeure consiste donc à trouver le fil rouge au milieu des multiples versions, adaptations et interprétations de ce mythe inspiré de faits réels datant du XIIe siècle. A cet effet le travail de synthèse effectué par Jean-David Morvan afin de parvenir à condenser un tel ouvrage en seulement quelques tomes est à souligner. La lecture de cette première partie de triptyque assez dense laisse certes entrevoir quelques raccourcis scénaristiques plutôt brusques, mais s’avère assez digeste dans l’ensemble.
Ce premier volet se découpe en deux parties qui semblent indépendantes pour le moment. Le début relate la libération des rois-démons, élément déclencheur de cette légende, tandis que la deuxième moitié d’album raconte comment le maître d’armes impérial Wang Jin, forcé à l’exil, enseigna les arts martiaux à Shi Jin, surnommé le Dragon Bleu. L’utilisation judicieuse d’un protagoniste jouant le rôle de narrateur permet d’introduire et de clôturer rapidement chaque histoire et d’éluder certains passages de manière efficace. Ce roman intemporel, qui à la base incitait les paysans à la révolte contre la corruption du gouvernement et des hauts fonctionnaires de la cour de l'empereur, est également marqué par un grand nombre d’acteurs. Des brigands qui ne pouvaient qu’être cent huit étant donné l’importance de ce chiffre dans les croyances chinoises. Un préambule permet heureusement de se familiariser avec ces bandits qui représentent les 36 astres terrestres et les 72 astres célestes, libérés par un mandarin ivre de pouvoir.
Tout comme pour Le Dieu Singe, c’est un auteur chinois qui s’occupe de la mise en image, afin de garantir une représentation plus authentique de la Chine ancestrale, de ses habitants et coutumes. Le dessin de Wang Peng (Taras Boulba), à mi-chemin entre la photo et la peinture, livre quelques superbes planches, mais manque parfois de constance. Un graphisme dépaysant dont l’aspect «jeu vidéo» dénote quelque peu avec le cachet historique de l’ouvrage.
Début prometteur d’une épopée connue de tous en Asie et rendue accessible aux lecteurs franco-belges par une Collection Ex-Libris - Textes Fondateurs destinée à livrer des version BD des best-seller du patrimoine littéraire mondial.
"Au bord de l'eau" est, paraît-il, un des chefs d'oeuvre de la littérature chinoise.
Je le confesse piteusement, je n'ai jamais pu terminer le premier des deux forts volumes parus chez Folio.
C'est dire si j'ai commencé cet album précautionneusement, mais j'avais succombé à la beauté du dessin, superbe, magnifique, sans adjectif vraiment valable devant une telle qualité.
Plus les pages se tournaient plus je me sentais conforté dans ma première impression, à savoir que la finesse littéraire extrême orientale et ses subitilités sont fortement éloignées de ce que nous mêmes considérons comme littérairement intéressant.
Bêtise que tout cela bien sûr car le récit va bientôt prendre le tour d'une histoire de vengeance et là nous retrouvons nos repères avec le dépaysement et le rafinnement chinois en plus.
Vivement la suite.