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atthieu Blanchin et Christian Perrissin retracent l’itinéraire et les jeunes années de celle qui accèdera plus tard à la postérité sous le nom de Calamity Jane.
Récit romanesque en diable, Martha Jane Cannary redonne au western ses lettres de noblesse. Les auteurs ont su saisir, au-delà du souffle épique qui caractérise à l'accoutumée le genre, la psychologie de cette icône de la conquête du Far West. Le regard se fait volontiers intimiste, parfois touchant, toujours subtil, sans pour autant faire l’économie de la violence, de la poussière, du sang et des larmes. Et pour exhaler ce parfum d’authenticité, les auteurs se sont imprégnés de leur sujet même s’il leur faut d’emblée reconnaître que les sources bibliographiques sont sujettes à caution. Martha, en affabulatrice avérée, n’hésitait d'ailleurs pas à alimenter sa légende personnelle ! Comment alors démêler le vrai du faux ? Peut-être en soulignant au préalable les limites de l’exercice, quitte à laisser libre cours à l’imagination. Subsiste néanmoins le souci constant du réalisme et la volonté de faire œuvre de pédagogie, en mêlant à la narration de longs récitatifs. Assurément, les auteurs s’inscrivent dans la mouvance cinématographique du "nouveau western", où il s’agit justement de renouer avec l’histoire, de représenter et de reconstituer le plus fidèlement le passé.
Christian Perrissin (El Ninõ) brosse ainsi le portrait d’une adolescente cherchant à échapper à sa condition, à la misère, à ses responsabilités, à ce destin tout tracé comme à cet époux auquel elle est promise. Ces "Mémoires d’une jeune fille refusant de rentrer dans le rang", au cœur d’une faune poisseuse - celle des pionniers - éminemment brutale, machiste et puritaine, ne sonnent pas pour autant comme un manifeste pour la parité et l’égalité des sexes. Martha est tout bonnement avide de liberté. Au risque d’abandonner les frères et sœurs dont elle avait la charge, de subir toutes les agressions, toutes les humiliations, dans un monde où les règles sont décrétées par les hommes. Plutôt que de conquête de l’Ouest, il s’agit pour Martha d’une reconquête de soi, de son individualité, de sa liberté.
Perrissin décrit justement cet instant si particulier où l’Histoire s’élabore au gré des destins individuels et interroge de la sorte les fondements mêmes du western. Dans quelle mesure le destin individuel, dans toute sa singularité, s’inscrit ou participe de l’écriture de l’Histoire ? La mise en scène de la vie de (et par!) Calamity Jane suscite ce questionnement. Glucksmann, lucide à l’occasion, déclarait ainsi que "Le nouveau western parvient à définir un tragique de l'histoire en isolant l'instant où l'élaboration d'une civilisation échappe à l'épopée collective sans encore paraître mécanique impersonnelle du progrès : moment de vérité où les hommes semblent faire l'histoire, et savoir qu'ils la font" ("Les aventures de la tragédie", Le Western, Paris, 1993). La légende personnelle se mêle aux mythes fondateurs de l’Amérique. La dimension épique ne résulte que d’une reconstruction a posteriori où le héros se définit mythologiquement, où l’individu se farde pour mieux se figurer de manière héroïque.
D’une main très sûre, pleine de maîtrise formelle, Matthieu Blanchin (Le val des ânes) encre de superbes planches où les hâchures ou l’utilisation du lavis ne manquent pas d’évoquer les photogravures aux tons sépias d’un Timothy O’Sullivan, d’un Alexander Gardner ou d’un Carleton Watkins. A cet égard, le fait que ces expéditions, durant lesquelles ces photographes se joignirent aux explorateurs pour donner du corps au grand mythe de l’Ouest sauvage, aient été commanditées par le gouvernement fédéral, au moment même où l’Amérique avait besoin de se reconstruire, après le traumatisme engendré par la Guerre de Sécession, est particulièrement révélateur.
Véritable réussite, la suite de ce triptyque s'annonce tout aussi prometteuse, en attendant la rencontre entre Calamity Jane et une autre légende du Far West, Wild Bill Hickok.
Avis portant sur la série:
C'est un véritable coup de coeur que voilà ! Je suis encore abasourdi par ma lecture. Vais-je m'en remettre ? Probablement ou pas... Cela fait parfois du bien de trouver une oeuvre de qualité. Il est vrai que cela se fait rare malgré la production actuelle qui n'est souvent pas très exigeante.
J'ai suivi avec un tel plaisir les aventures de Martha Jane Cannary autrement dit Calamity Jane. Sa vie a été passionnante à souhait. Ce récit se base sur son autobiographie et notamment des lettres qu'elle a laissées à sa fille. Cette dernière n'a découverte son origine familiale que bien des années plus tard. J'avais encore en tête une Calamity Jane criminelle et un peu folle dingue. Bref, l'image caricaturale que nous montrait à tort un album de la série Lucky Luke.
Dans cette oeuvre intelligente et sensible, on va découvrir la vérité sur sa vie ainsi que les autres facettes de ce personnage mythique de la conquête de l'Ouest. Ainsi par exemple, au-delà d'un langage masculin grossier qu'on lui prêtait, elle a été une femme très courageuse et une aventurière hors du commun. Elle a été par exemple la première femme blanche à pénétrer dans le territoire sacré des Black Hills alors contrôlés par les Sioux. Elle a accompli de nombreuses missions périlleuses pour l'armée. Elle a véritablement participé à la légende de l'Ouest. On lui prête même une relation amoureuse avec le célèbre Wild Bill qui sera d'ailleurs assez développée dans le second tome. Bref, Jane est devenue presque une légende ...
Cependant et plus encore, on découvre une jeune femme mal dans sa peau et qui a la lourde charge de s'occuper de sa famille alors que les deux parents viennent de mourir brutalement à un an d'intervalle. On a alors du mal à imaginer qu'elle va devenir cette aventurière un peu amazone qui va franchir la frontière des moeurs. C'est tout le parcours de cette femme pas comme les autres qui nous est retracé !
Ce premier tome est réellement une belle réussite avec un graphisme spontané impeccable. Ce n'est pas pour rien qu'il a été primé à Angoulême. Il est vrai que les textes semblent être écrits à la main. La raison réside dans le fait de donner un caractère plus authentique à ce récit autobiographique.
Cette trilogie intimiste nous réserve certainement encore de bonnes surprises. Je confirme avec un excellent second tome dont certains passages sont réellement déchirants d'émotion. Le dernier tome sera d'ailleurs le plus bouleversant notamment l'épisode des retrouvailles avec sa fille qui reste le fil conducteur de cette oeuvre. Pour autant, les auteurs ont su rester réalistes sans s'égarer dans le roman à l'eau de rose ou du trop beau pour être vrai.
On se rend compte que la vie de Calamity est étroitement liée avec celle de l'histoire de la conquête de l'Ouest qui se fera aux dépends des populations indiennes. Il ne vous reste plus qu'à plonger dans ce voyage au temps du western ! Une des meilleures biographies pleine de sentiments et d'énergie enthousiasmante. A découvrir !
Note Dessin : 4.25/5 – Note Scénario : 4.25/5 – Note Globale : 4.25/5
Superbe.
J'ai dévoré l'intégrale.
Récit passionant permettant de plus de découvrir cette période de la conquête de l'ouest loin des clichés habituels.
Il faut quelques pages pour s'habituer au dessin et puis ensuite on est happé par le récit.
Voilà la BD d’un pote, une excellent dessinateur, Matthieu Blanchin. Martha Jane Cannary, plus connue sous le nom de Calamity Jane décrit la vie de cette pistolera, pionnière de l’indépendance et de l’émancipation des femmes. L’histoire est très bien documentée et se déploie sur 3 tomes. Dans ce premier opus, le côté graphique un peu vintage country avec ces tons sépias m’a d’emblée séduit. C’est léger et poétique. Et ce choix esthétique permet une distance avec les évènements terribles que subit notre héroïne. Le texte des bulles avec les lettres liées accentue aussi cette mise en forme. Je n’avais pas vu ça depuis Tom et Nana et c’est très sympa. Certains passages sont mêmes émouvants comme celui où elle retrouve la tombe de sa mère. Bref ! C’est réussi, c’est unique ! Et malgré le prix de la BD, ça vaut vraiment le coup de lire cette trilogie.
Le décor, magnifiquement illustré, est planté et l’histoire a de quoi attirer le lecteur, trouve donc que la série semble bien partie.
La véritable vie de Martha Jane Cannary la rebelle vue en BD.
Très belle réussite pour ce premier tome. On s'attache à ce personnage dont les actions et les émotions sont transcrites de façon impeccables et l'histoire est portée par un dessin maîtrisé et agréable.
Le seul point difficile de cette oeuvre réside dans la lecture des textes façon "écrit à la main", mais qui donnent tout de même une dimension plus intimiste de journal à cet opus.
On attend avec impatience la suite des aventures de cette jeune femme qui n'apparaît pas ici uniquement comme un personnage rebelle et fort mais aussi faible et en proie au doute, perdu comme il est dans ce paysage hostile de l'ouest.
Une aventure humaine, vraie et passionnante.