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vec ces chroniques rurales tout à la fois rudes et égrillardes, les éditions Cornélius exhument à nouveau un petit trésor de la bande dessinée nippone. Susumu Katsumata dresse avec humour et talent un panorama des mœurs et de la vie dans les campagnes du Tôhoku, région du nord-est du Japon qui l’a vu grandir dans les années cinquante.
De la préparation fastidieuse du saké, à la chasse à la baleine en passant par l’évocation des légendes locales convoquant tanuki, kappa et autres yôkai, Katsumata sème au fil d’une narration d’émouvantes descriptions rythmées par les saisons, des paysages du Japon. La justesse de l'expression et la précision des images contribuent à la vigueur de ce plaidoyer romanesque, dernier rempart à l’intrusion de la modernité, mêlant dans un même élan la nostalgie au folklore.
Ce portrait, étrangement familier, d’une époque tout à la fois proche et révolue, où la tradition dispute à l’idée du progrès, résonne dans l’imaginaire collectif. Et la force évocatrice du propos réside assurément dans cet entre-deux, cette période où l’individu se singularise du groupe et se libère du carcan des règles, des comportements mais aussi des solidarités qui structuraient le travail de la terre et la vie dans les sociétés pré-industrielles. Ainsi, la nouvelle Torajiro le kappa, contant l’exil d’un diablotin d’eau du village qu’il protégeait de longue date, illustre l’usure du tissu social comme celle du lien entre l’homme et la nature. La disparition des yôkai de la culture populaire, rejetés au rang de vulgaires superstitions, lors la modernisation de l’archipel au début de l'ère Meiji, est à cet égard particulièrement significative comme l’est par ailleurs le regain d’intérêt qu’ils suscitent depuis quelques décennies dans la littérature (voir les œuvres de Shigeru Mizuki éditées chez Cornélius, NonNonbâ ou Kitaro le repoussant…) mais aussi au cinéma (Hayao Myazaki et Princesse Mononoké, Isao Takahata et Pompoko).
Somme de petits contes d’un quotidien ordinaire et pourtant empreint de merveilleux, Neige rouge est de nature à ravir le plus grand nombre comme à féliciter les éditions Cornélius de cette heureuse initiative.
Lire aussi la chronique de NonNonbâ.
Peut-être parce qu'on avait été bouleversés par "NonNonBa", qui traitait de thèmes relativement similaires, "Neige Rouge" a été une légère déception : parmi les 10 récits ici compilés, un certain nombre nous sont finalement trop "étrangers" pour être vraiment compréhensibles (les rituels, mais aussi les us et les coutumes profondes de la campagne japonaise des années 50 ne sont pas si évidents que cela !), sans parler du choix, pertinent sans doute mais finalement déplaisant, de traduire le dialecte local par un patois bien appuyé de nos campagnes françaises ! On s'émerveillera toutefois de la grâce qui naît de certains dessins, conjuguant de manière étonnante simplification un peu maladroite des personnages et grande justesse "d'ambiance" ; on s'étonnera de la trivialité et de la paillardise des rapports (humains, amoureux et largement sexuels) décrits - cela semble une constante dans les chroniques japonaises de cette époque, je pense à "la Ballade de Narayama" ; et quand, d'un coup tout s'assemble, par magie, comme dans "Neige Rouge", le dernier récit, alors oui, on frôle le chef d'oeuvre.