O
rganismes invisibles, les mushi agissent comme des parasites en s’installant dans des corps humains ou d’animaux. Les bienfaits que certains dispensent s’accompagnent toujours d’une contrepartie et la plupart d’entre eux sont nuisibles. Seuls quelques personnes peuvent voir ces entités, dont Ginko, un mushishi, expert itinérant à la fois chasseur et guérisseur. Allant de villages en villages, il cherche des hôtes involontaires auxquels venir en aide et prodiguer ses soins. C’est ainsi qu’au cours de ses pérégrinations, il rencontre une jeune femme possédée par un mushi poussant dans sa main sous forme de fil et qui la rend invisible, puis une communauté de pêcheurs dont la plage est parsemée de coquillages-mushi annonciateurs d’une catastrophe. Ailleurs, il croise un chasseur en proie à une entité avide de sang qui l’entraîne vers la destruction et la folie, un garçon désespéré par la mort de sa sœur qui ne supporte plus la moindre source de chaleur, ainsi qu’un brasseur qui parvient à confectionner une boisson proche du koki, l’eau vitale des mushi.
Mushishi est un manga où onirisme et poésie s’accordent pour livrer des fables à caractère écologique qui rappellent fortement les œuvres de Hayao Miyazaki (à commencer par Nausicaä) et de Daisuke Igarashi (Hanashippanashi, Sorcières). Chaque volume est constitué de quatre ou cinq récits indépendants les uns des autres mais dans lesquels on retrouve le personnage de Ginko, le mystérieux mushishi aux cheveux blancs et à l’œil vert, ainsi que les créatures invisibles qu’il recherche. Il n’y a donc pas de véritable trame générale, mais au fil des histoires, le lecteur apprend à connaître les différentes espèces de mushi, leurs caractéristiques et à saisir l’importance du travail de Ginko. Des thèmes récurrents reviennent et nourrissent une réflexion approfondie, en particulier autour du respect de la nature et du cycle de la vie, les mushi donnant ou étant quelquefois utilisés pour simuler une existence qui n’est déjà plus. Ainsi, ce sixième volume évoque-t-il la méfiance entre l’étranger et celui qui est différent. Tout d'abord, à travers le rejet de Fuki que son village soupçonne d’avoir fui comme une voleuse et d’être dérangée, puis celui d’un pêcheur et de sa fille qui font bande à part depuis que l’épouse est morte en mer. Il y est aussi question du refus de la perte d’un être cher et de sa recherche désespérée dans "Sous la neige". Le dernier récit, "Le banquet au bout des champs" est plus gai et permet de découvrir une coutume des mushishis qui se rassemblent tous les ans pour faire provision de koki, l’essence de vie à l’origine de tout.
Le graphisme de Yuki Urishibara rend bien l’atmosphère subtile et atemporelle de la série. Son trait est fin et dessine des visages simples mais aux caractéristiques et expressions éloquentes. Peu nombreux, les décors sont plutôt réussis, surtout dans les scènes de forêt ou marines. Quant à la diversité des mushi elle souligne toute la fertilité de l’imagination de l’auteure. Quelques pages en couleurs en début de chapitre permettent en outre de goûter à toute la délicatesse du dessin et font presque regretter que tout le reste soit le noir et blanc. Notons enfin que le manga a été adapté en un animé de vingt-six épisodes, reprenant les cinq premiers tomes, ainsi qu’en un film « live » réalisé par le célèbre Katsuhiro Otomo (Akira, Steamboy).
Mushishi est une série qui invite au rêve et au dépaysement. Il se savoure, sans hâte, avec délice et laisse, après lecture, cette impression d'étrangeté familière propre aux songes.
Poster un avis sur cet album