U
n arbre généalogique vient planter le décor en première page. Un voyage en Algérie. Le père du narrateur emmène son épouse et leurs enfants pour une sorte de pèlerinage dans le pays où il est né et où, en 1907, les premiers membres de sa famille s’installèrent. Sans donner l’air d’y toucher, l’auteur amène son lecteur sur les raisons qui l’ont poussé à réaliser cet album. Il va tenter un habile chassé-croisé entre l’Histoire et celle des siens, cette dernière s’effaçant pudiquement quand la nature des événements l’exige.
Selon toute vraisemblance, D’Algérie est un projet qui relevait de l’intime pour Morvandiau. De ce fait, avant de s’y confronter, l'auteur a peut-être dû attendre d'acquérir une certaine maturité. L'entrée en matière le laisserait penser, l'orsqu'il hésite à entrer dans le vif du sujet et tergiverse dans ses explications sur le fondement de ses motivations. Ce passage, sans doute nécessaire mais peu accrocheur, pénalise l’entame du récit. La suite se montre nettement plus prenante. Un peu à la manière de Philippe Squarzoni, en moins scolaire et partisan, Morvandiau montre avec un réel souci d’efficacité les instants marquants qui ont jalonné ce conflit. Discours, coupures de presse, affiches, inscriptions sur les murs et portraits se succèdent. Les commentaires s’en tiennent au minimum utile, comme pour gommer toute trace de subjectivité. Contrat rempli, malgré la difficulté que présentait ce désir de montrer les interactions de ce drame à travers les générations. Cette tectonique intergénérationnelle suggère un rapprochement avec Là-bas. Cette BD tirée du roman pour partie autobiographique d’Anne Sibran, où la guerre d'indépendance propulse les siens vers un retour non souhaité dans l’Hexagone qui sert de socle à un récit basé sur la nostalgie et les difficultés de l'insertion. Mais la comparaison s’arrête là, D’Algérie emprunte une autre voie, plus pudique, où les aïeux de Morvandiau s’éclipsent au profit d’une approche historique des faits.
La lecture surprend parfois, par un emploi peu conventionnel des codes de la bande dessinée classique, avec notamment un certain décalage entre le texte et ce qui s’apparente, par instants, à des illustrations. L’importance qu’il convient d’accorder à ce qui peut être considéré comme une gêne doit cependant être atténuée par le caractère documentaire que prend petit à petit la narration. Le graphisme à base de traits larges ne s’embarrasse pas de fioritures si ce n’est pour apporter des nuances dans les jeux d’ombres. Le rendu se veut réaliste, en accord avec le sujet et ce que son époque peut véhiculer comme images désuètes. Le dessin en médaillon sur la couverture préfigure à merveille l’esprit dans lequel a été conçu cet album.
Avec une construction très personnelle, D’Algérie traduit l’investissement profond de son auteur pour son sujet. Comme souvent dans ce cas, l'inconnue réside dans le degré d'implication de ses lecteurs potentiels. Ceux qui entreront dans le processus créatif de Morvandiau y trouveront un livre intéressant et sensible sur les liens qui se font et se défont entre les peuples algériens et français.
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