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ancha vit au Mali. Rasta aux dreadlocks impressionnantes, il passe ses journées à tenter de fuir la réalité en se réfugiant dans la peinture ou en absorbant champignons hallucinogènes ou autres psychotropes. Eternel rêveur, redresseur de torts et philosophe à ses heures, il se définit lui-même comme un chevalier errant, défenseur des opprimés. Et quand un beau jour son regard croise celui d'Alonzo Loren, une jolie touriste bientôt repartie à Paris, il en devient aussitôt éperdument amoureux et n'a qu'une idée en tête, la retrouver. Même si, pour cela, il doit affronter des armées de créatures malfaisantes ou autres monstres terrifiants issus de son imagination. Traversant les mers et les frontières, accompagné de son fidèle Sancho, il part à la rencontre de ses propres chimères.
Quatre cents ans après sa première apparition, le célèbre personnage créé par Cervantès n'a pas pris une ride. Qui ne s'est pas un jour imaginé en Don Quichotte, bravant tous les dangers pour porter secours à la veuve et l'orphelin dans un monde totalement utopique ? Chaque époque de l'Histoire a porté un point de vue différent sur le roman originel. Considéré comme comique au début du XVIIe siècle, il fut populaire lors de la Révolution Française en raison des valeurs qu'il véhiculait (un individu seul face à la Société), pour devenir aujourd'hui un classique littéraire, un des livres les plus lus au monde. Dans Mancha, Cmax en donne sa propre interprétation.
Pourquoi l'Afrique ? Simplement parce que l'auteur s'est rendu pendant un mois au Mali, traversant le pays en bus et sac à dos. De son voyage, il a ramené paysages, ambiances et surtout l'envie de créer un Don Quichotte moderne. Cmax aurait pu se contenter d'adapter simplement le personnage de Cervantès. Il n'en est rien. Au contraire, il a conçu une histoire aux références très contemporaines et a imaginé son héros, Mancha, comme un être complexe dont la folie a ses propres origines. Plus qu'anecdotique, l'explication est plausible et donne une nouvelle dimension à la lecture. La traversée de Dakar aux îles de Las Palmas est à ce titre doublement symbolique. Les passagers des misérables pirogues, tous africains et probablement futurs sans-papiers, vont chercher en Europe leurs propres rêves de fortune ou d'évasion et sont en réalité autant de Don Quichotte en puissance.
Mancha affronte les moulins à vent qu'il prend pour des monstres sanguinaires mais combat également les démons qui le poursuivent depuis son enfance. Si les absorptions de drogues diverses et variées l'aident à oublier un monde qu'il ne supporte plus, elles justifient également ses hallucinations en réfutant ainsi toute idée de maladie psychiatrique. Il n'est pas fou, il veut simplement le devenir... Casanier au début du récit, il est pourtant l'acteur principal d'un parcours initiatique, d'un véritable road movie qui le mène à travers l'Afrique et l'Europe. Privé de came, il va devoir défier la réalité, celle qu'il évite depuis des années, celle qui fait peur, celle qui tue.
Le dessin et surtout les couleurs donnent au récit une dimension supplémentaire. Des villages typiques du Mali aux paysages africains, le trait de Cmax en restitue habilement les ambiances suaves et langoureuses. Ensuite, les tons ocres font progressivement place à la froideur du bleu et du vert quand les deux compagnons approchent de la France et de sa capitale. Pour représenter les hallucinations de Mancha, le jaune et le rouge se mélangent pour former des visages répugnants tout droit issus de délires psychédéliques.
Après Kamila paru en 2007 aux éditions Paquet, Cmax propose avec Mancha, chevalier errant une œuvre d'un tout autre calibre, un récit touchant, poignant et terriblement humain. A seulement 22 ans, ce jeune auteur est très certainement promis à un bel avenir.
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Au début de la lecture, je me suis vite ennuyé avec les élucubrations de ce Mancha africain. Puis, petit à petit au fil des pages, le courant semble être passé quand les mots apparament anodins ont commencé à être lourds de sens. C'est tout le drame de l'Afrique qui se meurt petit à petit après avoir subi le joug de la colonisation européenne. On va suivre le voyage de ce Mancha bien sympathique qui voit le monde un peu différement et qui va courir après une chimère.
Il est question d'immigration clandestine et des conditions les plus abominables de celle-ci. Il est également fait référence au rejet par les habitants et par les forces de l'ordre qui ne possède aucun discernement pour traiter le problème avec humanité. On est bien au coeur de l'actualité. Et puis la question qui revient sans cesse "Sommes-nous obligés d'acceuillir toute la misère du monde ?". J'aurais tendance à répondre positivement un peu par provocation !
Bref, il y a des réflexions qui m'ont semblé tout à fait justes comme la publicité pour la viande pour chien quand on sait que la famine décime des millions de gens à travers ce continent qui a été exploité et qui l'est encore par de puissantes multinationales. Que faisons-nous pour eux ? Pas grand chose comme en témoigne le génocide rwandais dont notre héros un peu fantasque est un rescapé. La folie suprême est bien de voir le monde tel qu'il est et non comme il devrait l'être...