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Achab 1. Nantucket

13/12/2007 23285 visiteurs 7.8/10 (6 notes)

A vant de devenir le terrible capitaine du Péquod dans le roman de Herman Melville, Achab était un jeune garçon avec une seule idée en tête : quitter l'île de Nantucket et partir à la chasse en haute mer avec ses aînés. Il avait de qui tenir, bien sûr : son père, l'illustre Charles T. Hawthorne, fut l'un des plus grands marins de son temps avant de mourir des œuvres d'un immense cachalot blanc du nom de Moby Dick. Un nom qui fait maintenant figure de légende.

A l'heure où les adaptations littéraires foisonnent sur les étals de nos libraires, c'est avec un scepticisme redoublé que l'on voit un auteur s'attaquer à un tel monument. L'approche de Patrick Mallet, auteur de Vathek et des Plombs de Venise, n'a pourtant rien de la simple mise en images et rassure d'emblée. A la manière de Xavier Dorison et Mathieu Lauffray poursuivant l'aventure de L'île au trésor avec Long John Silver, il réinvente ici la vie d'un célèbre personnage de fiction. Cette distanciation mêlée de respect par rapport à une œuvre originale qui ne sert que de point de départ - ou plutôt de point d'arrivée - est singularisée par un détail qui a son importance : la série s'intitule Achab et non Moby Dick, contrairement à l'adaptation éponyme de Jean Rouaud et Denis Duprez.

En effet, le premier tome est exclusivement dédié à ce garçon au caractère déjà bien trempé, sur une île où tout homme valide se destine naturellement au métier de marin. L'une des grandes forces de l'album est ainsi de dépeindre avec justesse et crédibilité la vie des habitants de l'île : les hommes qui s'embarquent pour plusieurs mois, les femmes qui restent à terre pour s'occuper de leur foyer et de leur progéniture, les enfants qui s'impatientent à l'idée de suivre la voie de leur père et les vieillards qui vivent dans le souvenir de leur gloire révolue. C'est par l'un d'eux, un ancien cuistot répondant au nom d'Ichabod, que le jeune Achab alimente sa soif d'aventures, déjà rendue vivace par le passé familial et par la figure de Moby Dick. Une figure qui ne cesse de hanter l'inconscient de tous les marins partis affronter la mer et ses mystères. Et le grand cachalot blanc n'en est pas le moindre, lui qui est finalement si semblable aux hommes qui le traquent. Il y a sans aucun doute une sorte de respect mutuel qui s'installe entre deux êtres d'exception, deux êtres sensibles qui se battent non seulement pour leur honneur mais aussi pour la sauvegarde de leur famille.

Cette dimension humaine, dramatique, est parfaitement illustrée par les récits d'Ichabod, mémoire vivante de l'île, qui constituent le fil conducteur de l'histoire mise en scène par Patrick Mallet. Qu'ils soient racontés à l'occasion d'un voyage en bâteau ou le soir au coin du feu, ils sont porteurs de révélations aussi bien pour le lecteur que pour le héros et séduisent par un style littéraire de grande qualité. Par ailleurs, le rythme n'est pas effréné, loin s'en faut, et repose plus sur le récitatif que sur l'action. Ainsi, même les scènes de chasse sont relatées par l'entremise d'un conteur, ce qui permet au lecteur de faire corps avec l'histoire et de se mêler aux enfants qui, des étoiles plein les yeux, se la représentent selon leur propre imaginaire.

Le lecteur n'a bien sûr pas ce luxe, lui qui se voit imposer la vision de l'auteur. Mais quelle vision ! Dans un style très sobre, mélange de gigantisme et d'intimité, Patrick Mallet rend à merveille l'impression de calme que renvoient déjà ses textes soignés, comme pour inviter tout un chacun à prendre son temps. A prendre patience, surtout, comme tous ces gamins qui rêvent d'en découdre avec les forces de la nature. La mise en couleurs, signée Laurence Croix, se démarque également par son élégance et sa justesse. Que ce soit pour dépeindre le décor tout en lumière d'un départ en mer ou l'ambiance confinée d'un bar ou d'une sombre ruelle, elle pose constamment une atmosphère dans laquelle on prend plaisir à se fondre.

Ce n'est pas la première fois que Moby Dick étend son influence jusqu'au monde de la bande dessinée, lui qui a même fait une apparition remarquée dans Lanfeust des Etoiles. On n'a pas oublié non plus la transposition du mythe dans un univers de science fiction, un parti-pris audacieux que l'on doit à Jean-Pierre Pécau et Zeljko Pahek. Jusqu'à présent, les choix opérés par Patrick Mallet s'avèrent payants et font de Achab un modèle d'adaptation réussie. La question qui se pose maintenant est : jusqu'où ira-t-il ? Jusqu'à rattrapper le roman de Herman Melville ? Au-delà ? Ne soyons pas si pressés et, pour l'heure, dégustons à l'envi ces prémisses d'une grande aventure à venir...

Par D. Wesel
Moyenne des chroniqueurs
7.8

Informations sur l'album

Achab
1. Nantucket

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Note: 3.8/5 (52 votes)

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L'avis des visiteurs

    Pulp_Sirius Le 22/03/2023 à 18:06:00

    == Avis pour les 4 tomes ==

    Chef-d’œuvre! Patrick Mallet crée une présuite (prequel) d'une richesse incroyable. Il y avait longtemps qu'une BD ne m'avait pas autant absorbé.

    Je dois d'abord dire que le roman d'Herman Melville, Moby Dick, est l'un des romans classiques de la littérature les plus ennuyeux qui soient. Les parties qui concernent les personnages sont superbes, mais 80 % du roman est consacré à décrire les baleines, les différents types de travaux qu'il faut accomplir à bord, les harpons, l'huile, etc. Si Moby Dick vous intéresse, je conseille vivement une version abrégée du roman.

    Achab, qui nous dépeint la jeunesse de ce capitaine notoire et comment il est devenu l'enragé assoiffé de vengeance qu'on connaîtra, est absolument magnifique. Patrick Mallet est un grand amoureux de l’œuvre originale, et ça paraît. Mallet doit concevoir une grande partie du scénario en inventant les origines des histoires du roman pour expliquer certains épisodes (c'est le concept d'une présuite), et c'est très réussi.

    D'ailleurs, on ressent toute la lourdeur, la solitude et le silence que ces gens d'une autre époque devaient endurer lorsque quelqu'un s'engageait sur un baleinier. Les hommes quittaient leur chez-soi un an, deux ans, voire plus, avant de revenir à terre. Il disaient au revoir à leurs pères et mères, leurs frères et sœurs, leurs femmes, leurs enfants, pour Dieu sait combien de temps. Et certains d'entre eux ne revenaient jamais. C'est d'une tristesse absolue que Mallet réussit à nous faire ressentir avec brio.

    Patrick Mallet dépeint aussi l'époque d'un ton neutre. Il ne la regarde pas de haut, ne la réécrit pas pour plaire au public moderne, ne passe pas de commentaires peu subtils sur les travers de l'époque. C'est ce qui, en partie, fait la force du récit selon moi. Trop d'auteurs de pacotille ne peuvent s'empêcher de critiquer une époque qu'ils n'ont pas connue, alors que dans cent ans c'en sera d'autres après nous qui se moqueront de nous. Bref, le contexte historique d'Achab est réaliste et non partisan, et je lève mon chapeau à l'auteur pour cet accomplissement.

    J'ai vu certains avis qui se plaignaient du dessin, mais je ne l'ai pas trouvé désagréable. Ce n'est pas un dessin extraordinaire, je vous l'accorde, mais il demeure coloré, plaisant, et ça n'a pas gêné ma lecture : je l'ai même trouvé plutôt bien.

    Ma plus grande déception provient du fait que l'histoire se termine juste avant le début du roman. Mallet écrit en fin de quatrième album : "Pour ceux d'entre vous qui voudraient poursuivre l'aventure et connaître le destin d'Achab, Elie, Ismaël, Quiequeg et Fedallah, il ne vous reste plus qu'à vous plonger dans la lecture de ce formidable et passionnant roman." Même si Moby Dick était le plus grand roman de tous les temps, je crois qu'il y a peu de chances pour qu'une majorité de lecteurs se lancent dans sa lecture. J'aurais vraiment aimé que Mallet poursuive l'aventure en réécrivant Moby Dick à sa manière, toujours du point de vue d'Achab, par exemple.

    Quoi qu'il en soit, Achab est l'une des meilleures BD que j'ai lues depuis longtemps, qui nous présente un scénario sans faille et qui fait vivre de réelles émotions -- une véritable cale d'huile bien remplie!

    Erik67 Le 01/09/2020 à 16:00:32

    J'ai été très agréablement surpris par cette série qui traite de la genêse du fameux Moby Dick, le cachalot blanc. C'est vrai qu'on connait généralement l'histoire de long en large. Je ne m'étais pas précipité pour lire cette bd. J'avais peur d'une enième version infantile.

    Or, en l'espèce, c'est une toute autre version beaucoup plus mature qui nous est apporté par l'auteur. C'est vrai que ce dernier prend son temps pour mettre tous les éléments en place. J'ai littéralement adoré cette aventure maritime. C'est de loin la meilleure version qui m'ait été donné de lire du fameux roman de Melville.

    On commence par découvrir un Achab jeune et revanchard qui a perdu ses parents et qui vit chez une tante très sévère. Le contexte historique est d'ailleurs parfaitement reconstitué avec un puritanisme de bon aloi. Puis, petit à petit, le jeune garçon va grandir et va devenir le fameux commandant rongé par la haine que nous connaissons tous. Bref, il s'agit d'un préquelle de Moby Dick.

    Le dessin est agréable, de même que la lecture grâce à un découpage et une mise en scène assez dynamique. On ne s'ennuiera pas une seule seconde. Il y a une puissance et une grandeur qui se dégagent de cette série qu'il faut absolument découvrir. C'est véritablement magistral !