L
enore est une petite fille espiègle qui a des passe-temps presque normaux pour un enfant de son âge : prendre le thé avec le monstre des muffins, capturer le gentil lapin de Pâques avec un piège à loups, étrangler et fracasser la tête d'une fillette avec une corde à sauter, tuer son éternel prétendant à la tondeuse à gazon, combattre la chose venue du fond des toilettes... Oui, bon, pas si normaux que ça, les passe-temps de Lenore. Voire un peu morbides. Un peu cruels, même. Mais elle n'est pas non plus comme les autres. Elle, elle est morte.
Lenore, c'est gris, c'est triste, c'est plein de créatures hideuses et de cauchemars épouvantables, c'est du sang et de la violence. Et pourtant, c'est drôle... à mourir ! L'humour est noir, bien sûr. On ne rigole pas parce qu'un délicieux bambin se casse la figure en jouant à saute-moutons, mais parce qu'il finit sa course dans une scieuse à bois. Glauque, non ? Mais ça fonctionne, ça fait rire. Parce que les gags sont très forts. Parce que Lenore tire des têtes pas possibles. Parce que les petits silences assassins tombent pile où il faut. Parce que le dessin est génial, aussi. Délirant, voilà le mot juste. Pas forcément du jamais vu, entendons-nous bien. C'est vrai que Lenore aurait très bien pu se retrouver dame d'honneur aux Noces funèbres ou dame de compagnie de M. Jack lors de son étrange Noël. Mais Roman Dirge va au-delà des références, aussi prestigieuses soient-elles. Et limiter son travail à une appropriation de l'univers burtonnesque serait une insulte. Une insulte ? Oui, une insulte à sa créativité. C'est qu'il prend un malin plaisir à l'animer, sa petite poupée Barbie désenchantée. Un plaisir contagieux, que rien ne peut arrêter.
Pourquoi le charme de Lenore opère-t-il si bien ? Sûrement parce qu'elle reflète cette part sombre de nous-même sans s'encombrer de remords. Un peu comme si la cruauté de l'homme était légitimée par l'innocence de l'enfant. Un enfant dont on finit par excuser toutes les frasques. Parce que ce n'est pas de sa faute, voyez-vous. Je suis sûr qu'elle ne l'a pas fait exprès. Oh, ne la gronde pas pour si peu... Enfin, vous voyez, quoi... Et puis, elle ne s'en réjouit pas, de cette cruauté. Elle ne manque pas de bonnes intentions. Mais l'enfer n'en est-il pas pavé ?
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