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iroshima, 1945... Gen est un petit garçon tout ce qu'il y a de plus normal, vivant dans une famille aimante et soudée, pendant la 2e guerre mondiale. Cette guerre, le père de Gen la hait. Pacifiste convaincu, il pense que les jeunes japonais sacrifient leur vie pour rien, ou plutôt pour consolider le pouvoir de quelques nantis enfermés dans leur tour d'ivoire. Malheureusement pour lui, la propagande, la manipulation des masses et la persécution des antimilitaristes règnent dans un Japon qui a érigé le sacrifice de soi au profit de l'empereur au rang de devoir sacré. Toute la famille va pâtir de ces brimades continuelles, mais Gen et ses proches ne sont pas du genre à se laisser intimider... Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'une ombre bien plus menaçante, brûlante et destructrice les menace, une ombre en forme de champignon nucléaire...
Saluons tout d'abord l'ouverture du catalogue de Vertige Graphic au manga. Le fait que cette maison, qui édite d'habitude des auteurs indépendants, ait choisi de publier Gen d'Hiroshima ne peut que faire avancer les choses au niveau de la vision qu'ont les français des mangas. Les Humanoïdes Associés puis Albin Michel avaient déjà tenté en 1983 puis 1990 de publier Gen, mais les ventes n'ayant pas suivi, l'une et l'autre maison avaient stoppé l'expérience après le premier volume (sur les 10 composant l'histoire complète). Le fait que ce soit Vertige Graphic qui reprenne le flambeau est plutôt rassurant, cette petite maison d'édition n'ayant pas les impératifs de vente d'une "major".
Gen est un témoignage à 80% autobiographique, selon les dires de l'auteur, Keiji Nakasawa, et c'est ce qui fait toute sa force. Nakasawa va droit au but, nous montre tout crûment, sans fard, il nous plonge totalement dans le Japon des années 40, dans le mode de pensée et les moeurs de ses habitants. La force de Nakasawa réside dans sa sincérité: il n'embellit rien, n'enlaidit rien non plus, mais ne revendique pas pour autant une utopique objectivité. Il s'intéresse à la vie des petits dans une époque où l'on fait peu de cas de leur vie, nous raconte la manière dont les autorités ont fait de l'empereur japonais un véritable dieu, l'incarnation de la nation et le père de tous les japonais, comment ce mode de pensée a engendré les kamikazes et la xénophobie à l'égard de tous les non-japonais. Il nous décrit la propagande et les manipulations du peuple par les instances dirigeantes, qui conduiront aux suicides collectifs de femmes et d'enfants ne voulant pas tomber dans les mains d'Américains prétendus violeurs et sadiques.
Le style de Nakasawa est très théâtral: un dessin simple, qui va à l'essentiel, des expressions faciales, des attitudes et des comportements exagérés; tout cela ajoute à l'intensité dramatique du livre. Il joue sur l'importance des symboles, comme le soleil,omniprésent, qui rythme tout le livre, à la fois bienveillant, source de vie, et annonciateur de l'apocalypse à venir,ou comme le blé et le riz, base de la nourriture et symboles de la vie paysanne... Nakasawa n'oublie pas non plus d 'aérer son livre par quelques touches d'humour, autant de bouffées d'oxygène dans un ouvrage parfois oppressant.
On ne peut parler de Gen d'Hiroshima sans faire un parallèle avec Maus, et pas seulement à cause de la préface (qui paradoxalement se situe à la fin du livre...) d'Art Spiegelman. Les deux livres parlent d'une des tragédies majeures du XXe siècle par le biais du témoignage. Bien sûr les styles sont complètement différents mais le but reste identique: marquer les esprits, faire un travail de mémoire. Gen d'Hiroshima remplit parfaitement son contrat et s'avère être aussi important dans le paysage de la bd que son illustre successeur.
Par Flocon
Je suis beaucoup moins enthousiaste que petitboulet à propos de cet album. Peut-être que j'en attendais un peu trop après avoir lu son élogieuse chronique et avoir vu que Spiegelman s'était fendu d'une préface.
Qu'est ce que je n'ai pas aimé ?
La comparaison (mal à propos) avec Maus ? On lit ici ou là des rapprochements avec l'œuvre de Spiegelman (dont j'attends avec impatience la re-lecture du 11 septembre). Ils sont pour le moins hâtifs. De mon point de vue, on n'est pas là en présence d'une oeuvre aussi définitive que Maus. Gen est-il à la tragédie Hiroshima ce que Maus est à l'Holocauste ? A la lecture de ce T1, j'en doute. Mais ce n'est qu'1/10ème de l'œuvre.
Le graphisme ? Il est souvent simpliste pour les personnages (les décors sont plus travaillés et ce contraste était peut-être recherché) mais ce n'est pas un réel écueil. Pas plus que les rictus outranciers. Ce qui est pénible c'est bien la répétition et les stéréotypes. Par exemple, je n'en pouvais plus de voir les deux frangins sauter comme des puces les bras en l'air. Y compris dans des situations graves où ils sautent de la même façon que lorsqu'ils font les andouilles (dans ce cas, le texte était en décalage complet avec l'expression). Et je vous fais grâce des coups de poings et des gifles qui font systématiquement chavirer le personnage du même côté avec la même puissance. Ainsi que des visages en pleurs.
En fait, c'est bien le schéma et les actions maintes fois répétées qui émaillent les 3/4 de l'album qui m'ont ennuyé : on se lamente, on dénonce, on défend ses choix, on frappe, on pleure. Scènes répétées à l'envi dans des contextes différents.
L'auteur cherche à dénoncer la propagande dont sont victimes les petites gens mais il le fait de la même manière que ceux qu'il montre du doigt (militaires, notables) font leurs discours. Les uns dénoncent la condition du peuple auquel appartiennent les personnages centraux, les autres la cruauté et l'injustice de l'ennemi. Les uns dressent des statues aux martyrs du quotidien, les autres à l'élite au pouvoir. Le fond est différent mais les outils employés sont les mêmes, à base de messages et d'arguments ultra simplistes à prendre en l'état, sans esprit critique.
Et finalement, comme on se lasse du copier coller des expressions, on se lasse de cette surenchère de malheur et de larmes. Alors que viscéralement on aimerait se ranger à la cause de ceux qui souffrent.
A ce moment, on pourra m'opposer les deux arguments massue suivants : "il s'agit d'un récit à 80% autobiographique" et "le bouquin a trente ans". C'est un témoignage et alors ? Ont-ils tous la même qualité et la même puissance ?
Alors si je suis si critique, pourquoi l'ai-je lu jusqu'au bout ? Alors que d'habitude, lorsque j'ai tant de reproches à faire, je laisse tomber le bouquin. Tout simplement, parce que c'est Hiroshima et qu'on attend, avec un rien de voyeurisme, que la Bombe tombe. De voir quels sont ses effets, ses ravages, la réaction des personnages. Vous aurez d'ailleurs remarqué que l'intérêt des lecteurs est relancé par l'évènement (cf. autres commentaires sur le forum). C'est parce que l'on change de dimension, la Bombe ce n'est pas une brimade ou un sévice corporel. Le souffle (sans jeu de mots) du récit n'est alors plus le même. L'onde de choc nous atteint quand l'excès de misérabilisme ambiant avait fini par nous ennuyer. Si le tome 1 s'était arrêté à la page 240, aurait-on eu une quelconque envie de lire le tome 2 ? Là, malgré tout, on se tient prêt pour la suite, sans impatience mais avec un certain intérêt. Parce que la force du sujet efface les imperfections de son traitement. Et aussi pour comprendre comment ces gens ont pu se relever après cette tragédie.
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