L
e maître de Ballantraë est-il mort ? Tout le laisse penser à la fin du premier tome quand le duel fratricide tourne à l'avantage d'Henry. Ce dernier, rongé par la maladie, essaie d'oublier, de se reconstruire mais se sent terriblement seul auprès d'une épouse dont le cœur ne lui a jamais appartenu et d'un père qui va bientôt rendre l'âme. Devenu Lord, son état s'améliore rapidement, l'orgueil prenant le pas sur la honte. La naissance d'un fils, Alexander, exacerbe sa fierté et rend son amour paternel étouffant, oppressant, presque malsain. Ces années de répit ne sont pourtant qu'un feu de paille avant le retour inattendu du maître déchu, du perfide, du calculateur James... Son frère.
Le deuxième tome de ce diptyque, adapté du roman de Robert Louis Stevenson, s'ouvre sur une aquarelle pleine page où le regard de James couvre de ses yeux obscurs et ténébreux la scène du crime ainsi que le château de Durrisdeer. Qu'il soit mort, disparu ou spectral à la manière d'un incube, son esprit hante les lieux et sa présence en devient pesante. La rivalité entre les deux frères, la haine qu'ils éprouvent l'un pour l'autre atteignent ici leur paroxysme. La faiblesse d'Henry, le machiavélisme de James et quelques personnages très secondaires sont les acteurs et les témoins d'un affrontement dont l'issue donnera lieu à un final éblouissant et tragique. Le narrateur, Mackellar, intendant du château au service du Lord, apporte au récit une certaine impartialité. Cet homme, ô combien fidèle à son maître, se fait hésitant confronté au charisme de James, à son pouvoir de persuasion et de séduction hors du commun. Il entraîne le lecteur dans ses doutes avec une neutralité irréprochable. L'adaptation est fidèle, limpide et particulièrement réussie.
S'il fallait néanmoins trouver un grain de sable dans ce très beau mécanisme narratif, ce serait sans doute l'absence du personnage de Katharine. Celle-ci, d'après le roman de R.L.Stevenson, est la première fille d'Henry et d'Alison dont James parviendra à s'attirer les grâces et rendre ainsi son frère fou de jalousie. Le choix de ne pas la faire apparaître est concevable, bien que sa présence ait pu en partie expliquer l'amour excessif d'Henry envers Alexander. Ce qui est plus gênant est le fait d'avoir mentionné sa naissance (page 26 du premier tome) pour ne plus jamais l'évoquer par la suite.
Une succession d'aquarelles de toute beauté donne vie au récit. Ce style, qui aurait pu se révéler lourd et confus, rend au contraire la lecture envoûtante. Les couleurs accompagnent merveilleusement chaque scène, chaque lieu et passent allègrement du violet au jaune, du bleu à l'ocre. Ne serait-ce que pour son dessin, Le maître de Ballantraë vaut le coup d'œil.
Cet album a le mérite de faire découvrir une œuvre essentielle de R.J.Stevenson pourtant moins connue que L'Ile au Trésor ou L'Étrange Cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde. Mais plus que cela, son dessin magistral, son adaptation complexe, émouvante et fascinante rendent sa lecture indispensable. Frank Meynet, alias Hippolyte, déjà remarqué avec Dracula, est un jeune auteur dont le talent mérite une attention toute particulière.
Du même auteur, lire :
La chronique du tome 1 du Maître de Ballantraë
La chronique du tome 2 de Dracula
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