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u début des années 80, du côté de Dunkerque, deux auteurs débutants qui se partagent une maison se mettent en tête de réaliser une histoire policière. Quelques temps plus tard apparaîtra dans Spirou Jérôme K Jérôme Bloche, détective sympathique et lunaire qui se consacre aux faits-divers avec l’ardeur d’un apprenti Sherlock Holmes et la distraction d’un Gaston Lagaffe. Le personnage cultive le décalage, comme le souligne son nom évoquant l’auteur du cultissime Trois Hommes dans un bateau, dont la spécialité était le comique de situation et l’humour absurde. Le personnage principal est donc particulièrement réussi, mais le véritable intérêt de cette série réside justement dans l’association d’un tel anti-héros et d’énigmes policières ayant pour cadre la France profonde que n’aurait pas reniées Georges Simenon.
Pour les premiers épisodes, Dodier et Makyo sont assistés de Serge Le Tendre : on retrouve donc ni plus ni moins que les scénaristes de deux séries emblématiques de l’époque (Balade au bout du Monde et La Quête de l’Oiseau du temps). Ceux-ci prendront ensuite du recul pour justement se consacrer à ces albums, mais Dodier reprendra le flambeau avec brio, au point de faire de cette série un incontournable du genre. Pour la parution du vingtième tome, Dupuis a décidé de rééditer en noir et blanc les 18 premiers sous la forme de trois intégrales en tirage limité.
L’idée est ici de célébrer l’événement au moment précis où ce nouvel opus débarque chez les libraires, dans un format économique permettant aux fans de découvrir le trait de Dodier qui ne souffre presque pas de l’absence de couleur. Le dessin est bien sûr irréprochable, mais d’une certaine manière, les couleurs douces conviennent tellement au caractère du héros qu’il est dommage de s’en passer. L'humour bon enfant semble ainsi s'effacer derrière le roman noir, pour lequel le jeu d'ombres est ici particulièrement efficace. La présentation est un peu en retrait par rapport aux habituelles intégrales Dupuis, souvent luxueuses et agrémentées de bonus. ici, seul le côté pratique du format et le long moment de lecture en perspective (302 pages !) pourraient légitimer la préférence par rapport aux albums classiques.
Ce volume initial reprend donc les six premières aventures de Jérôme. Avec le recul, il est amusant de voir comme la série est déjà très au point, tant graphiquement qu’en ce qui concerne la personnalité des principaux protagonistes et l’univers autour duquel ils gravitent. Ce ne sont pas forcément les meilleurs épisodes qui y sont réunis mais on retrouve déjà Zelda, l'un des albums préférés des fans, qui synthétise à lui seul ce mélange si particulier entre le polar le plus sombre et la légèreté du héros. Pour qui se laissera tenter par cette édition particulière (amateur de la première heure ou nouveau lecteur), il y a fort à parier que les volumes suivants trouveront place sans tarder dans leur bibliothèque, au rayon "classiques indispensables".
J'ai lu les (premières) aventures de ce détective lunaire dans le "journal de Spirou", lorsque j'étais enfant/adolescent.
J'aimais beaucoup ce personnage, ces enquêtes loufoques et sa relation timide avec sa jolie Babette.
Et puis, j'ai grandi, pas toujours pour le meilleur, je me suis tourné vers des BD plus "péchues", d'action (Tanguy et Laverdure", "Buck Danny", "Black et Mortimer"...).
J'ai cru que "Jérome K Jérome Bloche", ce n'était plus pour moi, que j'avais mieux à lire que cette série gentillette.
Pendant des années, je suis passé à côté de cette formidable série humaniste.
Heureusement, pour l'ahuri que j'étais, Dupuis a eu la formidable idée de sortir ces intégrales en N&B, à un prix très abordable, qui m'ont incité à franchir le pas.
Passé l'effet "madeleine de proust", à relire ces BD de mon enfance, j'ai réalisé toutes les qualités (graphiques, scénaristiques) de cette série et des ces personnages attachants.
Je n'ai qu'un regret :
l'absence de couleurs ; par moments, ça manque, et cela m'inciterais presque à acheter les albums en couleurs.
Mais pour mon malheur, j'ai commencé en intégrales, alors je continue...
Franchement, ne passez pas à côté de ce monument de la BD franco-belge.