196X, Rinichiro, Japonais, et Clara, Allemande, sont fiancés. Leurs vies basculent quand un vaisseau spatio-temporel s’écrase sur le chalet de la jeune femme. A l’intérieur, une inconnue d’une grande beauté, vêtue très légèrement, et venue d’un futur dominé par les Blanches qui imposent leur volonté à leurs hommes et asservissent tout ce qui est différent. Ainsi, les Yapous, descendants des Japonais, sont-ils génétiquement modifiés afin de servir d’animaux, de jouets sexuels ou de meubles vivants … La méprise de la sculpturale Pauline envers ces humains qui l’accueillent est confirmée par la nudité de Rinichiro qui n’ose pas lever les yeux sur elle et reste prostré par terre pendant qu’elle bavarde avec Clara.
Adapté du roman éponyme de Shôzô Numa qui a reçu le prix Sade en 2006, Yapou, bétail humain laisse relativement nauséeux et déconcerté après lecture. La postface signée par l’écrivain permet de mieux cerner et saisir le propos. Complexe d’infériorité du vaincu après le deuxième conflit mondial, déchéance psychologique de l’asiatique à terre face au Blanc triomphant … L’œuvre est empreinte du traumatisme qui a secoué les Japonais après 1945. Cette satire idéologique et grinçante rappelle un film comme La barrière de la chair de Seijun Suzuki ou même la nouvelle les Algues d’Amérique de Akiyuki Nosaka (plus connu pour sa Tombe des lucioles) qui critiquent également l’occupation américaine et l'exécration de soi de la population nippone à l’époque.
Le premier tome du manga de Tatsuya Egawa semble reprendre l’esprit et la lettre du texte de Shôzô Numa. La linéarité de la narration met mal à l’aise par sa froideur aseptisée ou tout du moins dénuée d’émotions. Elle dérange autant que l’incompréhension face à des mots et des concepts peu familiers expliqués en petits caractères en marge ou plusieurs pages après. Comme formatés et résolument plats, les commentaires en voix-off déstabilisent, annihilent toute sensation, mais maintiennent paradoxalement la curiosité puis la fascination quelque peu morbide. Les événements s’enchaînent mais conservent néanmoins une certaine absence de relief, comme si tout se passait au loin ou de façon lisse. Cependant, incontestablement, le malaise augmente lorsque sont données, sur un mode des plus insensibles, les explications sur les Yapous et leur transformation de bétail humain en accessoire ou animal de compagnie. Le cœur au bord des lèvres, bien qu’allant jusqu’à la dernière page tant il est pris par le jeu du voyeurisme, le lecteur peut se sentir aussi désorienté et atterré que le pauvre Rinichiro englué dans la honte de sa nudité et de son renvoi à la position servile par une Pauline très sûre d’elle-même. Par ailleurs, graphiquement, le trait simple et classique de Tatsuya Egawa, non dénué de quelques erreurs dans les proportions et les perspectives, s’accorde bien à l’histoire. La multiplication de femmes dénudées et de scènes à caractère sexuel, elle, foit naître plus d’écœurement que d’excitation.
Kami propose avec Yapou, bétail humain une série aussi intéressante que déstabilisante, mais qui ne manquera pas de susciter des réactions en raison du côté malsain inscrit dans l'idée même qui est à la base de l'histoire, à savoir qu'il existerait une supériorité des Blancs. A connaître !
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