U
n peintre quadragénaire, désabusé, misanthrope et cynique, songe au suicide. Peu avant de passer à l’acte, il croise un personnage singulier, auteur d’une théorie fascinante sur la perception du temps à différents niveaux selon les espèces animales, qu’il appelle « voyage dans la causalité ». Il n’y prête pas attention mais quelques jours plus tard, subitement ragaillardi, il est victime d’étranges hallucinations.
Cet album étrange est adapté d’un roman français des années 50 (Jacques Spitz, l’œil du purgatoire). Le thème est incontestablement très fort, et demande une attention soutenue sous peine d’être largué avant la première moitié. Monologues fréquents, questions existentielles, théories improbables : comme souvent dans les adaptations, c’est le texte qui est important. Pesant même, trouveront certains, déroutés par une mise en place fatigante, et qui n’auront sans doute pas la patience d’attendre l’accélération des événements. C’est en effet dans les dernières pages que toute l’originalité du concept se développe, faisant passer l’album du genre « roman graphique » à « thriller SF ». Le pari est audacieux car les publics sont en général assez différents, et ce sont en fait clairement les amateurs d’anticipation qui y trouveront leur compte, s’ils passent outre un graphisme assez spécial.
C’est que l’originalité s’exprime aussi dans le traitement de l’image : après des essais sur la 3D, Ponzio se lance dans le mélange dessin/photographie. Audacieuse, cette technique produit des résultats contrastés : tantôt réjouissants, surtout pour le décor, tantôt… ridicules quand la luminosité souligne le caractère figé des personnages. Sans surprise, on s’approche dans ce cas du roman-photo ce qui pour certains confine à la ringardise suprême.
Sans être trop regardant sur le style visuel, ni sur les atermoiements du scénario, cette histoire prévue en deux tomes mérite qu’on s’y intéresse. Mais peut-être vaut-il mieux se tourner vers le roman si la motivation concerne uniquement son concept.
Grand plaisir que cette bande dessinée. Dans le magma des bd qui se disent « adultes », elle est une des rares à l'être réellement. Par le style, d'abord, avec ses cases faites, semble-t-il, de photos retravaillées, mais surtout par le sujet. On ne le déflorera pas ici, mais on peut dire – puisqu'on le dit abondamment dans les résumés de l'album qu'on trouve sur internet – que notre artiste bougon et solitaire finira par croiser des cadavres en train de marcher paisiblement dans les rues de Paris, ce qui n'est, vous l'avouerez, pas banal, surtout pour une bande dessinée qui est plus métaphysique que réellement fantastique (eh oui contrairement à d'autres, je trouve ce bédé suffisamment originale dans son approche pour ne pas être classée dans le rayon "bédé de genre", "fantastique" dans notre cas : elle me semble parfaitement accessible par n'importe quel lecteur qui ne serait nullement porté sur la science-fiction).
Finissons par dire que le découpage est impeccable, que la progression psychologique est palpable (un tour de force pour une bande dessinée) et que le tout conserve un sens indéniable du mouvement malgré qu'on soit face à ce qui aurait pu n'être qu'une succession de photos. Vous comprendrez alors qu'on est face à une grande réussite.
Une réussite tellement évidente qu'elle m'a poussé à lire le roman original.
Et je peux dire que si Ponzio arrive à traduire la suite en bande dessinée, il aura réalisé un vrai tour de force parce que, connaissant la profondeur de ce qui arrive, la barre est placée très très très haut. J'attends la 2e partie avec impatience...