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1950, la guerre de Corée vient d’être déclarée. Les communiqués du gouvernement du Sud relayés par les médias se veulent rassurants. Pourtant, la réalité est tout autre et bien vite le son des canons supplante celui du tonnerre. Un exode massif vers le sud commence. Chung Eun-Yong, narrateur et ancien policier, sait que son métier lui vaudra un jugement hâtif et partial s’il est fait prisonnier. Son grand-père, l’expérience aidant, lui fait admettre l’inacceptable : il doit quitter les siens et fuir vers le sud. Il part seul, hanté par ses pensées, sa culpabilité. Réfugié chez des membres de sa famille, il apprend que sa femme a été blessée. Il reprend la route pour la rejoindre.

Deux enfants s’amusent à faire naviguer des bateaux en papier sur un petit ruisseau entre cailloux et roseaux. A la façon d’une suite d’estampes à consonance asiatique dessinées au lavis, cette lecture démarre sur un ton apaisant. Park Kun-Woong ne quitte pour ainsi dire pas cette technique qui, dans l’imaginaire, s’apparente fort à une atmosphère cotonneuse où le temps semble en suspens, à la façon dont l’encre de Chine mêlée à l’eau se diffuse sur le papier. L’orage gronde. Ce démarrage en mode ralenti constitue un leurre confortable dans lequel le lecteur ne manque pas d’abandonner ses défenses : si les effets du conflit se font ressentir, ils n’en demeurent pas moins éloignés et somme toute relativement scolaires, donc politiquement corrects. A l’instar des informations quotidiennes, ils présentent d’étonnantes propensions à entrer par une oreille et sortir par l’autre, avec un passage par la case blasée du cerveau. Alors qu’un soupçon de torpeur commence à poindre, l’absurdité, l’irrationnel, l’arbitraire et la folie vont s’abattre avec une violence inouïe sur les désignés aléatoires de ce drame.

La force de ce récit réside dans la justesse du ton employé par l’auteur et cette cassure qu’il a su instaurer. Après la sensation de froideur inhérente à des événements qui semblent éloignés lors de la première partie, le contraste avec ce qui suit est terrible. Massacre au pont de No Gun Ri.

Les mots peuvent paraître dérisoires pour évoquer ce fait de guerre, et pourtant… La puissance évocatrice des propos rapportés par les victimes ayant survécu est d’une force sans égale pour exprimer l’atrocité de l’instant, un instant qui se dilue sur quatre jours. Ce temps qui n’en finit plus d’être exploré dans ses moindres recoins par Park Kun-Woong, à tel point que le lecteur en arrive tôt ou tard à ressentir le besoin d’en sortir tant la nausée le prendra à la gorge, tant le procédé d’identification sera efficace et douloureux. Si le dessin conserve des traits fortement évocateurs, la colorisation en différents niveaux de gris évite le voyeurisme et permet au texte de toucher avec précision certaines cordes sensibles. Mais derrière ce premier rideau de douleur, encore plus dures et profondes sont les décisions que ces damnés vont être amenés à prendre. Seul face à sa vérité, ses choix et leurs conséquences, l’homme dans tout ce qu’il a de grand, dans tout ce qu’il a de petit. Et la question qui se pose à chacun : puis-je comprendre ?

C’est un ouvrage dur, presque insoutenable, qui évoque la peur et l’incompréhension, mais qui a aussi et surtout force de témoignage : cette volonté est clairement indiquée par le caractère partiellement autobiographique du livre dont il est tiré. Universel dans son propos, il s’adresse à tous et replace la nécessité du travail sur le passé pour aborder le présent et préparer l’avenir.

Par F. Mayaud
Moyenne des chroniqueurs
8.4

Informations sur l'album

Massacre au pont de No Gun Ri

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L'avis des visiteurs

    chocobogirl Le 01/03/2008 à 18:21:56

    Adapté d’un roman coréen, ce manga nous plonge en 1950 pendant la guerre de Corée. L’auteur de « Fleur » relate ici un massacre perpétré sur des civils par l’armée américaine. Réfugiés sous un pont, ils vont subir pendant 3 jours une fusillade meurtrière qui fit près de 400 morts…
    Une œuvre bouleversante qui fait appel au témoignage des rares survivants.