P
arce qu’il est parfois intéressant, voire nécessaire, de connaître l’auteur afin de comprendre l’œuvre. Parce que Marcel Gottlieb, plus connu sous le pseudonyme de Gotlib, représente à lui seul une page majeure de la culture populaire du siècle dernier. Parce que le maître de l’umour et de la bandessinée, enfin, mérite bien une chronique.
Gotlib, créateur de personnages et de séries aussi marquants que Gai-Luron, la Rubrique à Brac, les Dingodossiers ou encore Cinémastock, ouvre ici les portes de son intimité, conviant le lecteur (et probable fan) à un voyage édifiant au cœur de la vie d’un homme pas aussi déjanté que ses bandes auraient pu le laisser croire. Y sera développé son drôle de parcours personnel, avec ses rencontres, ses amitiés (nombreuses et variées), ses rares inimitiés, et les grands moments de sa vie, souvent liés à sa carrière d’auteur.
Conçue de manière chronologique, cette drôle de biographie rafraîchit les souvenirs que le lecteur peut avoir des premières créatures d’un jeune Marcel tout juste dégrossi, mais déjà marqué par l’humour barré de Mad. Ce magazine américain est fondé sur un ensemble de parodies, de caricatures et d’absurdité qui deviendront la marque de fabrique de certaines des séries phares de Gotlib. Puis vient Gai-Luron, pendant franchouillard du fameux Droopy de Tex Avery, qui fut le premier véritable succès public de l’auteur. Les années qui suivent sont surproductives, et voient la naissance de la Rubrique à Brac, des Dingodossiers, de Clopinettes (avec Mandryka) et de Cinémastock (avec Alexis), le tout sous l’égide bienveillante du grand Goscinny, au sein de la prestigieuse école de Pilote (Mâtin ! Quel journal !). Arrivent enfin les glorieuses années de l’émancipation, avec Rhaaa Lovely, Rhaaa Gnagna, Hamster Jovial, Pervers Pépère ou encore Superdupont (avec Lob et Alexis, entre autres), durant lesquelles Gotlib devint le mètre étalon de tout un genre, de toute une culture, marquant au fer rouge de jeunes adolescents qui deviendront par la suite Zep, Alain Chabat ou encore Blutch. L’écho des Savanes puis Fluide Glacial font désormais partie intégrante du paysage culturel français, offrant à l’humour le plus transgressif une haie d’honneur…
Voici une bien belle manière de rendre hommage à ce drôle de bonhomme, dont la modestie n’a d’égale que la fausse mégalomanie, et dont le dessin appliqué et le lettrage exceptionnel restent une référence pour une génération d’artistes. Et comme un bouquin pareil pourrait sentir le sapin (ou l’hommage pre-mortem), le maître a parsemé de ses interventions acerbes les bas de pages, corrigeant ici, ricanant là, avec cet humour définitivement Gotlibien. Rappelant, une fois encore, que sa retraite ne fut pas forcée, ni anticipée, mais motivée par l’envie de ne jamais se répéter, de ne pas lasser le lecteur. Une telle abnégation fait plaisir à voir, n’est-il pas ?
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