L
es aventures des deux jeunes punkettes se poursuivent, Hopey et Maggie se baladant de ville en ville, croisant et recroisant des personnalités toutes plus déjantées et attachantes les unes que les autres. Ces rencontres, placées sous le signe du hasard, voire de l’étrange, les aident à faire des choix qui pourraient influer durablement sur leur vie et celle de leur entourage…
Jaime Hernandez poursuit et achève ici son œuvre. Cette chronique au jour le jour de ces post-adolescentes aussi paumées que délurées a obtenu le prix du patrimoine au festival d’Angoulême 2006, coiffant au poteau des classiques tels que Prince Norman (de Tezuka) ou Peanuts (de Schulz). Un prix qui fait enfin sortir de l’anonymat une série culte aux Etats-Unis, mais totalement ignorée par le grand public de ce côté-ci de l’Atlantique.
La narration éclatée, particularité de ce titre, peut s’expliquer par sa parution irrégulière et au format comics, au sein du magazine Love and Rockets, publié chez Fantagraphics par les frères Hernandez (Palomar City est une autre série de ce magazine, éditée aussi par le Seuil en France et conçue par Gilbert Hernandez). Mais c’est surtout un choix de l’auteur qui pioche au hasard dans l’histoire de ses personnages. Le lecteur y suit donc les pérégrinations de deux filles qui deviennent femmes, et découvre 14 années de leur vie, leurs amis, leurs connaissances, observant leurs succès et leurs échecs. Car tout est abordé, ici : amours, amitiés, jobs… Rien n’échappe à la moulinette du "chroniqueur" Hernandez qui peint un panorama gigantesque, celui de la Vie et de tous ses bonheurs (et malheurs), le tout sans jamais tomber dans le pathos ou la vulgarité. Un exploit remarquable, pour une série parfois difficile à suivre, mais qui constitue un puzzle fascinant et unique dans le petit monde de la BD indépendante.
Cette fresque humaine est servie par le trait de Jaime Hernandez, souvent considéré comme le meilleur dessinateur de la fratrie Hernandez. D’une pureté rafraîchissante, les noirs et blancs se chevauchent pour composer des planches remarquables, et se mettent totalement au service du récit. Sans esbroufe, Jaime prouve que l’on peut créer des pages au charme discret, mais à la technique irréprochable.
Locas trouve ici un aboutissement émouvant, refermant pudiquement ses pages sur le destin de Hopey et Maggie, deux personnages qui resteront en mémoire de tous ceux qui ont traversé les épreuves de la vie à leur côté…
Comme pour le tome 2 de "Palomar City", j'ai trouvé assez "ardu" de se replonger dans l'univers riche et complexe de "Locas", la multiplication de personnages (pas toujours reconnaissables d'ailleurs, le trait élégant de Jaime Hernandez ayant tendance à "uniformiser" quelque peu la beauté de ses héroïnes) et d'intrigues. Mais, même en n'étant pas sûr d'y comprendre grand chose, entre histoires de familles déchirées et de cœur pas en meilleur état, le charme a opéré quand même, peu à peu. Finalement, il s'agit plus ici de pénétrer un univers, d'y trouver peu à peu ses marques, (presque) de construire une relation avec des personnages qui nous deviennent infiniment proches et chers, au fil des trois ent pages et quelques de ce deuxième volume des "aventures" de Maggie (qui devient ici Perla) et de Hopey... qui sont cette fois séparées et galèrent rudement chacun ed leur côté... Jusqu'à ces retrouvailles romantiques et foudroyantes, dans les dernières pages, qui mettront les larmes aux yeux des plus radicalement punks d'entre nous.