S
andman est ce qu'on peut appeler un monument. Dix albums pour former une saga à nulle autre pareille, mêlant habilement un scénario original de Neil Gaiman et une myriade de mythes universels qui s'intègrent parfaitement au récit. Tout est basé sur les Éternels, ces êtres qui incarnent les pulsions qui nous animent au cours de notre vie: Dream, Desire, Despair, Destruction, Delirium, et Death; sans oublier le plus âgé d'entre eux: Destiny.
Pour une série assez difficile d'accès, aussi bien au niveau des thèmes abordés que du graphisme, Sandman est un grand succès du comics et a déjà ravi d'innombrables lecteurs à travers le monde. Mais rien, ou presque, n'avait encore été publié en français. C'est maintenant chose faite, et ce n'est que justice, mais quand un éditeur commence la publication d'une série aussi vaste et aussi complexe par le quatrième volume et le fait suivre par le onzième et dernier en date (il vient de paraître aux États-Unis), on est en droit de se poser des questions. N'aurait-on pas négligé l'intérêt du lecteur au profit d'une stratégie résolument commerciale? Le néophyte pourra-t-il se plonger sans heurts dans le monde du façonneur des rêves? Eh bien, oui! il s'en sort sans trop de difficultés. Il y a forcément quelques zones restées obscures et un bref moment de déroute pendant les premières pages du tome quatre, mais rien d'insurmontable. Et les différents chapitres du nouvel album constituant des récits indépendants, ils ne posent pas le moindre problème de compréhension.
Gaiman révèle ici un épisode de la vie des Éternels et nous en apprend beaucoup sur leur véritable personnalité. Tous se retrouvent au coeur d'un de ces récits, mais ils n'en sont jamais les personnages principaux, l'attention étant principalement portée sur ceux qui seront amenés à les rencontrer et sur la façon dont leur vie s'en retrouvera bouleversée.
Hétéroclite, voilà bien comment qualifier cette galerie d'illustrateurs qui défilent devant nos yeux ébahis. Mais ils se fondent entièrement dans le personnage dont ils doivent narrer un fragment de vie, et l'osmose entre dessin et récit est telle que le manque flagrant d'unité graphique en est vite oublié. Russell met son réalisme et sa froideur au service de la Mort, Manara prête la sensualité de son trait au Désir, Prado offre son onirisme au Rêve, Storey ressort toute sa folie picturale pour donner vie au Désespoir, Sienkiewicz nous plonge au coeur du Délire par son ambiance psychédélique, Fabry revient à plus de pragmatisme pour illustrer la Destruction, et Quitely dépeint les jardins du Destin par son dessin léger et enivrant. Chaque style sert à merveille les concepts incarnés par les Éternels.
Et puis il y a les couvertures de Dave McKean, merveilleux Dave McKean, qui, tel un magicien de l'image, vient offrir à ce très bel album un écrin à sa mesure, l'inondant d'or et de lumière.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes ? Pas vraiment, non... Parce qu'il est frustrant cet album! A peine le temps de s'attacher à un personnage, de s'intéresser à une intrigue, que c'en est fini. Tout se termine trop vite, tout n'est qu'effleuré. Eh oui ! compiler toute une série de récits courts en un même volume, voilà bien un exercice difficile (impossible ?). Et Gaiman ne parvient pas à passer outre cet obstacle. Dommage... Mais pas vraiment surprenant?...
Et ce n'est pas tout : même sans avoir lu toute la série, on remarque tout de suite que c'est un tome « en plus ». Peut-on aller jusqu'à dire que c'est un tome « en trop » ? N'exagérons rien, Gaiman n'en reste pas moins un excellent conteur, et d'aussi belles illustrations méritent bien un album. Si seulement tous les tomes « en trop » étaient aussi bons que celui-ci...
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