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Outrelieu, la tyrannie des anges s’exerce chaque jour un peu plus. Les arrestations sommaires, les emprisonnements dans les camps de travail s’intensifient. Karma le diablotin s’enfuit au-delà des brumes du sommeil pour rejoindre le monde des humains. Ses rencontres et ses expériences le ramèneront bientôt vers sa terre natale pour déjouer les plans du cruel Angifer.
Il a une bonne – grosse – tête le petit Karma avec son allure de cousin de Petit vampire non anémié et un poil plus rondouillard. Il y a de bonnes idées dans cet Outrelieu qui ouvre la série. Celle de donner aux anges le rôle d’une puissance belliqueuse qui veut imposer « le jour éternel » et l’élimination des impurs (tous les zombis, momies, vampires, brefs les tordus de la création) ne manque pas d’ambition. Dans le genre « bousculons les poncifs », cela pourrait être efficace, à l’image de cette case impressionnante qui montre une nuée de créatures ailées armes à la main fondre vers un objectif rappelant ainsi des photos héritées de la dernière guerre.
Seulement voilà, une bonne idée ne suffit pas pour emporter l’adhésion sur la totalité d’un album. Les enfants, auxquels l’album semble destiné en priorité, risquent d’avoir du mal à se passionner pour un ensemble très bavard, qui semble hésiter sur le ton à tenir (entre gags et métaphore sérieuse) et à la fin plutôt plate. Non pas qu’ils soient incapables de s’intéresser au combat que se livrent envahisseurs et résistance et de percevoir l’intérêt qu’on peut avoir à bousculer les clichés (ici on parlera d’ailleurs plus facilement de détournement que d’esprit subversif). Ce qui gène ce sont ces égarements qui semblent justifiés par la volonté de ne pas aller trop loin et de ne pas perdre nos chères têtes blondes dans des milieux trop inquiétants. Le temps est alors venu de jouer la carte comique en misant sur les surprises de Karma qui découvre la ville (l’effet Tarzan à New-York, Un shérif à New-York - décidément, Crocodile Dundee ou Un indien dans la ville selon la génération à laquelle on appartient). Puis on s’offre un petit détour pour rencontrer une troupe de cirque – une valeur refuge - avec sa galerie de freaks (loup-garou au comportement de schtroumpf grognon, pin-up torche pince-sans-rire…) le temps de résoudre une petite «affaire » qui dénonce les faux-semblants et les manipulations. Ou on rencontre un peintre qui usera de métaphore pour sensibiliser aux facultés d’évasion de l’Art. Finalement la quête d’une clef, ressort mobilisateur, apparaît comme un prétexte pour aboutir à la scène finale bien pauvre en frissons.
La confrontation avec le Krapork, créature ancestrale et marine rappelant celles croisées naguère par Isabelle ou Tif et Tondu, ne laissera pas de grands souvenirs. C’est dommage car cet album fait partie de ceux dont, a priori, j’aurais eu envie de chanter les louanges. Les idées sont là, les dessins réservent de bons moments dans un style qui paraîtra familier à ceux qui jettent un œil aux périodiques d’histoires lus par leurs enfants. Le lettrage en revanche s’avère plutôt fastidieux dans les bulles les plus chargées, ce qui est courant.
Après ce premier acte en demi-teinte, Karma nous doit une revanche.
Reprenant un peu le concept biblique de la lutte entre le bien et le mal menée entre les anges et les démons depuis la nuit des temps, cet album diffère toutefois à plusieurs niveaux, déjà au niveau des camps occupés par lesdits personnages, mais aussi par la nature de l'enjeu du combat. En effet, les anges ne demandent qu'à débarraser Outrelieu de tous les impurs que sont les êtres autres que les leurs, et pour en arriver à leurs fins, terrassent constamment les petits démons et les emprisonnent dans des camps de labeur, alors que ceux-ci aspirent simplement à vivre en paix dans ce monde parallèle à celui des humains.
Avec pour protagoniste un petit diabolitin cracheur de feu nommé Karma, le lecteur est témoin de l'exil forcé de celui-ci dans le monde des humains et de sa découverte des ses semblables, tous attendant le moment propice afin de retourner à Outremonde et d'y reprendre la lutte contre les vilains anges qui les ont assaillis. Et c'est ainsi, avec un style de dessin naïf dans une série axée jeunesse, que l'on retrouve l'artiste-peintre Fabrizio Borrini après quelques 20 années de retrait du milieu de la bande dessinée.
En résumé, un titre jeunesse avec un petit diabolitain sympatique et charmant qui n'est pas trop mauvais...